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Géophysique

QUAND LA MICROGRAVIMÉTRIE S'INVITE AU CHÂTEAU - <p>Figure 1 : anomalie mesurée corrigée<br />des effets de dérive instrumentale.</p>
01/12/2019

QUAND LA MICROGRAVIMÉTRIE S'INVITE AU CHÂTEAU


Figure 2 : anomalies partiellesassociées à diverses structures,destinées à la réduction desmesures en vue de l’interprétation.
Figure 3a : anomalie modélisée au niveau de la grande salle de mesures.
Figure 4 : carte gravimétrique finale.
Figure 5 : anomalie microgravimétrique.

Le château de Chambord, qui fête en 2019 son demi-millénaire, a entrepris un programme de restauration considérable. Du mur d’enceinte long de 35 kilomètres aux douves, des jardins à la toiture, l’oeuvre de référence voulue par François 1er se devait de retrouver sa splendeur passée, convoquant à l’occasion de cette commémoration des technologies de pointe, en géophysique notamment.

Le réaménagement de l’espace-
accueil du château a conduit à mener des prospections géophysiques, afin de déterminer s’il existe des structures souterraines risquant d’être menacées sous les zones concernées par les travaux. Ceux-ci se sont étendus jusqu’à l’angle oriental de l’enceinte basse où, selon le plan de Jacques Androuet du Cerceau, se trouvaient vers, 1576, de larges bancs percés, laissant supposer la présence d’une imposante fosse d’aisances. Comme ces latrines communes ne figurent plus sur les plans postérieurs, il s’est agi alors de déterminer si la fosse a été remblayée, ou si elle est simplement devenue inaccessible. Au terme de la construction de l’aile royale, les appartements de François 1er étaient situés au premier étage de la tour de l’angle nord, dite « tour du Chaudron ». Au second étage, les vestiges d’un lieu d’aisance et la présence d’un conduit vertical ménagé dans l’épaisseur des murs de cette tour laissent supposer l’existence d’anciennes commodités, absentes des plans connus, et vraisemblablement reliées à une fosse souterraine.
Afin de mettre en évidence la présence de vides, une prospection microgravimétrique a alors été décidée, conduite par le Centre littoral de géophysique de l’université de La Rochelle, en collaboration avec le département de géophysique appliquée de l’université Paris-VI.
L’équipe universitaire a livré ses conclusions dans un rapport dont nous publions ici de larges extraits,
tant ils nous ont semblé riches en enseignements sur la technique de la microgravimétrie en elle-même, dont l’intérêt s’illustre ici dans un cadre on ne peut plus prestigieux.

 

PRINCIPES DE LA MICROGRAVIMÉTRIE


La microgravimétrie consiste à mesurer le champ de pesanteur. Tout le monde a en mémoire la valeur de g sous nos latitudes : 9,8 m/s2. L’unité pratique pour le microgravimétricien est le milliGal (mGal) ou le microGal (μGal).
La valeur de la pesanteur vaut ainsi 980 000 000 μGal. Les structures que l’on cherche à détecter pour des latrines du type de Chambord sont de quelques dizaines de μGal, au plus. Il faut donc être capable de mesurer la pesanteur à moins de quelque 2 ou 3 μGal près. Cette sensibilité représente le 1/500 000 000e du champ terrestre !
Le principe de l’instrument, le microgravimètre, est particulièrement simple : il fonctionne avec une masse (m) accrochée à un ressort. Ce dernier s’allonge d’autant plus que le poids P = mg est plus important, d’où l’obtention de g par la mesure de cet allongement. La construction, cependant, est extrêmement délicate. Le ressort se dilate avec la chaleur : aussi la chambre du système doit-elle être thermostatée mieux qu’au millième de degré. Par ailleurs, si l’on penche l’instrument, la pesanteur varie à l’instar du cosinus comparé avec la verticale vraie. La verticalité ne doit donc être faussée à plus d’une seconde d’arc (1/3600°). Enfin, le ressort est en silice fondue, et on imagine aisément qu’il n’est pas facile à fabriquer ! Le microgravimètre dont dispose l’université de La Rochelle, un
« Scintrex CG3-M », permet d’atteindre la précision et la sensibilité requises. Cependant, il ne suffit pas de disposer d’un tel instrument. En effet, le champ de pesanteur, dans l’instrument qui le mesure, est fonction des masses qui voisinent l’appareil. C’est la loi de Newton, dite d’attraction universelle, qui gouverne le phénomène physique que l’on exploite. Tout d’abord, le champ de pesanteur varie très fortement avec l’altitude : 300 μGal de diminution pour 1 m d’élévation. Cela implique que si l’on veut mesurer d’infimes variations, il faudra corriger les mesures de l’altitude de l’instrument.
Altitude qui devra être connue avec une marge d’erreur maximale de quelques millimètres ! Ensuite, une cavité est détectée grâce à l’absence de masse qu’elle représente dans un milieu par ailleurs assez homogène.
Homogène ? C’est du moins l’hypothèse que l’on doit faire pour interpréter les résultats. Mais nous ne sommes pas en terrain plat ! Toutes les structures du château (murs, tours) agissent par attraction sur la masse interne du gravimètre. L’inhomogène n’est pas tant sous l’instrument qu’au-dessus de celui-ci. Afin de cerner la contribution de la cavité seule, il faut calculer (nous disons « modéliser ») les attractions de toutes les masses proches de la cible. Ensuite, il faut retirer ces contributions des mesures brutes. D’autres causes affectent le champ de pesanteur, comme les forces dues aux planètes (celles mêmes qui causent les marées). Elles atteignent une centaine de μGal et varient constamment dans la journée.

 

MODÉLISATION INDISPENSABLE


Enfin, l’instrument n’est pas parfait. Le ressort en silice fondue, qui soutient la masse d’épreuve de l’instrument, se déforme lentement dans le temps. Il en résulte une dérive réputée plus ou moins linéaire dans une journée, que l’on mesure par retours horaires à une station de référence, arbitrairement choisie sur le prospect, station qui sert de « base ».
En fin de compte, les procédures à appliquer tant sur le terrain (mesures des altitudes, repérage des masses, estimation des densités de ces corps, corrections de marée de dérive) qu’au retour au bureau (modélisation des effets attractifs des structures) sont extrêmement complexes et délicates. Pour les modélisations, il convient d’estimer les attractions de toutes les structures massives avoisinant la mesure et ce à chaque point de mesure. Comme seules les attractions dues aux structures élémentaires (sphère, cube, etc.) sont simples à évaluer, il faut découper les tours et autres murs en
« tranches » élémentaires, dont on calcule les effets individuels avant de les additionner. Il faut, dans ce processus, tenir compte des dénivelés, non seulement en termes de variation d’altitude, mais également de structures attirantes : une simple dalle modifie le résultat.
Pour corriger les mesures brutes effectuées dans le château, il a fallu plus de 200 heures de travail, passées à modéliser plusieurs centaines d’objets individuels qui sont autant de parties du tout qui constituent une tour et même les lapidaires qui y sont entreposés ou exposés.

Pour la tour du Chaudron, et du fait des niveaux variables sur la zone prospectée, c’est 886 structures qui ont été nécessaires, sous la forme de parallélépipèdes ou de cylindres élémentaires !

 

PROSPECTION SUR LA TOUR DU CHAUDRON


Observons également les dimensions des anomalies proprement dites. Afin de bien les représenter, une maille de mesure de 2 mètres au plus est nécessaire, sous peine de « passer à côté ». Sur le site de Chambord, le maillage utilisé sera bien de cet ordre de grandeur, mais non régulier : il faut s’adapter aux couloirs, aux murs.
Il convient aussi d’avoir une idée de ce que l’on va devoir mesurer. On effectue donc une modélisation en prenant en compte des dimensions réalistes pour les cavités. Désignant par L et l les longueurs et largeurs selon x, y et « h » la hauteur d’une cavité, nous avons effectué le calcul pour cavités voisines de dimensions respectives : (L, l, h) égales à (5, 7, 2.5) et (2.5, 5, 2) (en mètres). On a supposé que le toit des cavités se situait à 1 m de profondeur sous le sol. Une plate-forme et une tour cylindriques constituent l’environnement de cette modélisation. La démarche utilisée est ici classique, si ce n’est que, compte tenu des dénivelés en présence, les modélisations ont été particulièrement laborieuses.
La figure 1 montre la carte déduite des mesures brutes corrigées.
Sur la figure 2, on a représenté, à titre d’exemple, des résultats de calcul intermédiaires destinés à la modélisation des effets des infrastructures du château.
En réalité, plusieurs cartes de ce type doivent être calculées, pour chaque niveau de mesure (puisqu’il existe des dénivelés entre salles ou entre salles et couloirs).
Les figure 3a et 3b donnent le détail de la modélisation et de l’extrait qui en est fait aux points de mesure pour la grande salle.
Sur la figure 4, enfin, on a représenté l’anomalie obtenue après l’ensemble des traitements, et sur la figure 5, la localisation par rapport aux structures architecturales.
Il existe une anomalie notable, sous forme d’un creux, à cheval entre la grande salle et l’annexe. Elle est bien indiquée sur la figure 5. Si cavité il y a (et c’est bien probable), elle est allongée selon un axe nord-ouest/sud-est et d’un volume supérieur à 10 m3. Les ordres de grandeurs de profondeur sont d’environ 2 mètres pour le centre de la cavité. À l’est, on observe, dans la direction du centre de la tour, un gradient important (en bleu).
La campagne de forages exploratoire recommandés et guidés par le rapport des géophysiciens a permis de découvrir sous l’aile royale une salle rectangulaire et voûtée en berceau hébergeant de nombreuses traces de repentir, sous forme de graffitis ou de poèmes. Chambord a ainsi pu livrer sa dernière salle inexplorée.

 

Philippe Morelli


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