Dans une recherche permanente de l’efficience des investigations relatives à la localisation et le dimensionnement des cavités souterraines, l’optimum technico-économique ne
nécessite-t-il pas des approches croisées afin de cerner plus finement la problématique et pouvoir ainsi lui confronter les moyens les plus adaptés ? Retour sur expérience.
Invariablement, l’histoire se répète : à une période climatiquement plus marquée succèdent des
effondrements à proximité d’infrastructures ou d’habitations, et immuablement le diagnostic se
renouvelle : effondrement en relation avec la ruine d’une cavité souterraine. Ainsi, avec le vieillissement des anciennes mines, carrières et autres cavités souterraines et (potentiellement) l’évolution climatique, l’apparition de fontis est devenue un risque récurrent dans de nombreux territoires. La prise en compte de ces vides est donc devenue en quelques années un enjeu de premier plan dans de nombreuses régions, tant au niveau de territoires récemment conquis sur d’anciens espaces agricoles qu’au niveau de centres anciens.
L’objet n’est pas ici de disserter sur l’importance d’une implication accrue des collectivités ou porteurs de projets majeurs afin de s’engager, poursuivre ou moderniser les recensements commencés dans les secteurs les plus exposés depuis les années 1990 (inventaires BRGM, communaux, PPRN…) ; pas plus que de revenir sur le « Zoom technique » paru dans le n° 9 de Solscope Mag (avril 2018) et signé par Catherine Jacquard, Éric Petit-Jean et Franck Rivière de Fondasol, mais d’essayer
de contribuer à l’enrichissement de leur réflexion.
En effet, si de façon simpliste on peut admettre que la nomenclature géotechnique définit l’approche
scientifique dans la qualification du risque, et que le guide des bonnes pratiques géophysiques
définit les limites de validité de chaque méthode, la problématique cavités souterraines s’avère,
en général, beaucoup plus complexe et nécessite l’établissement de programmes « sur mesure ».
Ainsi, si certains effondrements en relation avec des phénomènes karstiques peuvent être rapidement explicités au regard des contextes géologiques, hydrogéologiques et géomorphologiques, et le diagnostic confirmé par des programmes de reconnaissance destructive ou non destructive, les problématiques liées aux activités anthropiques passées sont beaucoup plus diverses, car attachées à des objectifs, des modes d’exploitation ou des moyens développés à l’échelle de microrégions, voire parfois d’une seule commune.
De ce fait, les investigations ne peuvent (ou ne devraient) donc pas se limiter à la mise en oeuvre d’une seule méthode de reconnaissance « standardisée », mais doivent s’ouvrir à une compréhension globale permettant de mieux adapter les outils et méthodes indispensables au diagnostic.
Dans l’idée, il s’agit alors de se fixer des objectifs de résultats, et non plus de moyens.
RECONSTITUER LA CONNAISSANCE
Face à l’amnésie de la deuxième moitié du XXe siècle, il est devenu nécessaire de mettre en oeuvre des approches multimodales afin de reconstituer la connaissance. Ce travail dépasse alors certainement les compétences initiales des géologues, et fait appel à de nombreuses compétences transverses permettant d’interpréter puis de retranscrire des informations anciennes afin d’optimiser la mise en oeuvre de moyens de reconnaissance les plus modernes, innovants, adaptés à la hauteur des enjeux.
Ainsi, en amont des investigations, le rapprochement de toutes les sources d’informations possibles permet de préciser la définition des risques. Il ne s’agit pas seulement de reprendre les informations issues de différentes bases de données (BRGM...), mais de s’imprégner du territoire et de son histoire. Si ce travail est généralement l’apanage des professionnels intervenants en amont des documents d’urbanisme (plans de prévention des risques naturels, recensements communaux…), il demeure également un préalable pertinent : « Mieux connaître pour mieux soigner ».
SE RÉAPPROPRIER LA CONNAISSANCE À PARTIR DES ARCHIVES ANCIENNES :
L’oubli des carrières et autres établissements souterrains n’a pas toujours été un état de fait.
Au XIXe siècle et au début du XXe, les ingénieurs des mines ont été largement mis à contribution pour suivre, reconnaître des carrières souterraines artisanales ou industrielles sur la base d’un environnement réglementaire de plus en plus contraignant.
Depuis les années 2000, le recours généralisé aux systèmes d’informations géographiques facilite la retranscription sur les cadastres actuels de ces documents anciens. À titre d’exemple, le recalage cartographique d’un document ancien issu des archives d’une exploitation agricole (photo 6 page suivante) permet en première approche de localiser les limites des zones exploitées (ou tout au moins leur extension à la date d’établissement du plan). La comparaison de ce document avec l’extension réelle de la carrière établie à partir d’un relevé par scanner 3D près d’un siècle plus tard prouve que ce travail était déjà très précis.
Mais au-delà, ce document détaillé, levé par géomètre au début du XXe siècle permet de comprendre le côté erratique de l’exploitation, et par conséquent les difficultés pouvant être rencontrées lors de la mise en oeuvre d’un programme de reconnaissance par sondages destructifs sur des ouvrages souterrains réalisés dans le même secteur.
INTÉGRER L’OCCUPATION PASSÉE DU TERRITOIRE PAR LA PHOTO-INTERPRÉTATION :
Parfois décriée, la photo-interprétation, qu’elle soit stéréoscopique ou non, reste une source de données très riche… dans la mesure où l’opérateur en charge de l’interprétation garde un esprit critique. À côté des campagnes IGN « historiques », généralement disponibles entre 1947 et le début des années 2000, il est maintenant aisé d’accéder aux nombreuses couvertures contemporaines (IGN, Google, Bing Aerial, etc.). La photo ci-dessous peut se passer de tout commentaire et illustre bien que tout cliché, même s’il ne constitue qu’un instantané, peut s’avérer riche d’enseignements.
Toutefois l’intérêt de cette méthode n’est appréciable que lorsque l’analyse est réalisée sur le plus de couvertures possible.
ET LA MÉMOIRE LOCALE ?
Il est indéniablement fort dommageable que nos prédécesseurs aient « omis » de préciser leurs connaissances au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. À cette époque s’ils n’étaient peut-être pas les inventeurs de ces carrières, ils avaient eu potentiellement plus de chance d’être informés de leur existence. L’expérience d’Explor-e sur de très nombreuses enquêtes menées à l’échelle communale nous montre que la collecte d’informations pertinentes est de plus en plus pauvre, et que, contrairement aux idées reçues, les personnes malveillantes sont très rares dans la mesure où les risques encourus aux yeux de la loi sont bien précisés.
EN CONNAISSANCE, ENGAGER DES MOYENS TECHNIQUES À LA HAUTEUR DES ENJEUX
Une fois l’approche posée sur des bases solides, que l’opérateur maîtrise les caractéristiques générales de ce qu’il recherche, la définition du programme de reconnaissance devient plus aisée. Certaines réponses s’imposent alors directement : est-on dans le domaine de validité de la géophysique ? Quelle méthode est la plus appropriée au contexte ? Quelle méthode de forage ? Quelle profondeur de reconnaissance ? Mais ne nous trompons pas, il est encore indispensable de se poser la question sur l’adéquation entre les moyens parfois engagés au regard de l’objectif. En étant beaucoup plus direct, peut-on encore en 2018 se satisfaire du choix de méthodes non adaptées ? Quel est l’intérêt réel de clichés pris à l’aide d’une « caméra de sport » suspendue à un fil ? La réponse est : aucun. Au-delà, se pose très certainement la question de la nécessaire organisation d’une spécialité très spécifique.
Dans un environnement très concurrentiel, l’ampleur des enjeux liés à la présence des cavités souterraines souligne chaque instant le nécessaire engagement des opérateurs sur des équipements permettant réellement de répondre aux attentes des donneurs d’ordre. Et ainsi, tout comme pour les approches préalables facilitées par l’accès à l’information, les équipements de pointe permettent maintenant d’appréhender dans le détail chaque situation.
Le relevé tridimensionnel réalisé par Explor-e (BIM) et présenté ci-dessus permet ainsi d’illustrer le fait qu’en limitant la durée d’intervention, donc d’exposition à un éventuel risque de « suraccident » pour les opérateurs, il devient possible de disposer d’informations détaillées directes très rapidement : volume du fontis, caractéristiques géométriques, développements en sous-cavage… autant d’éléments indispensables à une définition pertinente du programme d’intervention à venir : localisation des sondages à réaliser, prise en compte des risques, des contraintes…
De même, l’association d’outils de cartographie avancée à des caméras endoscopiques offre la possibilité de dimensionner finement des vides souterrains restant économiquement ou techniquement non accessibles. La photo ci-dessus, illustre ainsi quelques étapes de la cartographie d’une carrière souterraine non accessible (50 m de profondeur) en ayant recours à un dispositif d’inspection associé à une télémétrie laser automatique et un rattachement au nord. Ce programme rendu très complexe de par la profondeur de la carrière (découverte initialement lors de sondages destructifs faisant suite à l’apparition d’un fontis), son mode d’exploitation « aléatoire » (caractérisant largement les crayères de Normandie), mais également des très importantes variations de l’épaisseur de formations non cohérentes de couverture (épaisseur de la formation résiduelle à silex comprise entre 10 et 35 m à l’échelle de quelques décamètres).
Le programme développé par Explor-e avec pour objectif de limiter le nombre de sondages était basé sur une « orientation au fil de l’eau ». Chaque inspection avec télémétrie permettant ainsi de :
En complément, un recours systématique à la localisation précise de la base de chaque forage par balise de positionnement souterrain (BPS) a permis de s’affranchir des erreurs liées à la déviation involontaire ou volontaire (contraintes de surface).
Jean-Christophe Servy, géologue, créateur-dirigeant d’Explor-e