La carrière souterraine du chemin de Port-Mahon, située dans Paris, a dû subir des traitements confortatifs suite à une étude géotechnique réalisée il y a quelques années qui a dévoilé des parties très endommagées. Explications.
La carrière souterraine du chemin de Port-Mahon, située sous la rue de la Tombe-Issoire et la villa Saint-Jacques, dans le 14e arrondissement de Paris, a la particularité d’être classée monument historique depuis le décret du 4 janvier 1994. Cet espace souterrain présente un panorama complet des procédés d’exploitation de la pierre de taille à la fin du Moyen Âge. Elle se caractérise par la superposition de deux niveaux d’exploitation, reliés entre eux par un trou de communication et par la présence, à chacun de ces niveaux, de cales à bras et de piliers maçonnés datant du XIXe siècle, destinés à la renforcer (photo 1).
En surface se trouve la dernière ferme de Paris, exploitée jusqu’en 1955, avec sa crypte, sa large cour, le pavillon nommé « Troubadour », et plusieurs bâtiments faubouriens du XIXe siècle.
Une inspection géotechnique menée en 2011 a révélé la présence de secteurs particulièrement endommagés, d’anciennes cloches de fontis* plus ou moins remblayées, ainsi que des piliers maçonnés dégradés. Il a alors été recommandé d’y engager rapidement des traitements confortatifs, d’autant plus qu’un projet immobilier était envisagé en surface.
CARACTÉRISTIQUES DE LA CARRIÈRE
La carrière souterraine du chemin de Port-Mahon s’étend à une profondeur de 14 m environ, sous les terrains de surface. Les galeries dégagées et accessibles couvrent une surface d’environ 1 600 m2. Dans cette zone, l’extraction s’est développée préférentiellement dans le niveau supérieur qui a exploité un calcaire d’âge lutétien. Le taux de défruitement** moyen s’établit entre 70 et 75 % sur l’ensemble de l’exploitation accessible.
La méthode d’exploitation a laissé en place des piliers tournés de formes et de dimensions variables (entre 2 et 6 m de côté).
Les portées (largeurs) entre piliers sont comprises entre 4 et 6 m, et, lors de l’extraction, les carriers ont dû localement renforcer le ciel de carrière (toit) par des « cales à bras » (photo 1), disposées plus spécifiquement sous les décrochements du ciel de carrière ou préventivement dans les galeries les plus larges. On note également la présence de piliers de confortation maçonnés (photo 2), datant, a priori, du milieu du XIXe siècle selon les inscriptions, qui ont été implantés au centre des galeries dans les secteurs occupés en surface par les bâtiments. Ces larges piliers sont constitués par des moellons assemblés et bloqués par des parements appareillés en pierre de taille.
Édifiés sur le bon sol de la carrière, la plupart de ces piliers sont jointoyés par un mortier à base de chaux hydraulique.
La carrière souterraine du chemin de Port-Mahon présente deux niveaux d’exploitation. L’ouverture (hauteur) des chantiers au moment de l’extraction dans le niveau supérieur paraît être de l’ordre de 2,5 à 3 m. L’épaisseur des remblais, constitués par les déchets de taille d’exploitation triés et laissés en place, varie de 1 à 1,5 m, selon les endroits. L’épaisseur de la planche rocheuse entre les deux niveaux, lorsqu’ils se superposent, n’excède pas, a priori, 80 cm. Une partie du niveau inférieur est accessible via un trou de communication (photo 3) depuis le niveau supérieur. On constate que la superposition entre les étages est mauvaise, et qu’une partie des piliers du niveau supérieur repose sur du vide et non sur les masses calcaires du niveau inférieur.
Une autre partie du niveau inférieur est inaccessible et a été inspectée par vidéoscopie.
On observe dans cette carrière plusieurs puits verticaux reliant le niveau supérieur à la surface.
Certains sont larges, fermés et bien appareillés (photo 4) et d’autres, apparemment plus petits,
semblent remblayés par déversement de tout-venant depuis la surface (photo 5).
Sur le plan hydrogéologique, la cote du sol des carrières est située au-dessus du niveau de la nappe.
Les galeries ne sont donc jamais ennoyées. Les venues d’eau au toit des galeries sont surtout imputables aux infiltrations naturelles, issues des précipitations, et parfois accidentelles lorsqu’il s’agit de fuites locales de réseaux.
L’inspection géotechnique menée en août 2011 n’a pas révélé d’indices récents pouvant laisser
penser à une ruine généralisée de la carrière. Cependant, les toits du niveau supérieur et inférieur
de la carrière sont affectés par une fracturation dense d’origine essentiellement mécanique, ce qui signifie que le toit s’est cassé sous la contrainte des terrains sus-jacents. Compte tenu, d’une part, de
l’épaisseur et de la nature du recouvrement au-dessus du premier banc de « roche » au toit, et, d’autre part, des volumes de vides existants encore dans ces galeries, de tels désordres pourraient en effet évoluer jusqu’en surface. Le projet de consolidation et de réhabilitation de la carrière comprenait donc la confortation des niveaux supérieur et inférieur de la carrière par piliers maçonnés et/ou par comblement.
DESCRIPTION DES TRAVAUX
Les travaux réalisés par la société Sotraisol (aujourd’hui Sefi-Intrafor), dans le respect des prescriptions techniques émises par l’Inspection générale des carrières de Paris (IGC) et avec l’autorisation obtenue de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), ont été les suivants :
Pour ce projet, la Soferim a fait appel à un collège de techniciens et ingénieurs spécialisés :
Le tout, avec les vérifications, contrôles, avis et conseils d’un architecte en chef des monuments historiques pour bénéficier d’une compétence à la fois technique et historique.
Le travail du collège d’experts a permis de proposer des solutions respectueuses du monument historique en carrière, tout en mettant en oeuvre des techniques de confortement historiques.
En souterrain, certaines zones spécifiques ont été conservées et protégées en phase travaux au titre de « zones archéologiques de recherches futures ». Les forages et les secteurs de comblement et de bourrage ont respecté un zonage précis, contraint par le tracé du cheminement historique des carriers et par les éléments patrimoniaux repérés au préalable par l’architecte en chef des monuments historiques et l’Inrap. Les confortations ont été ciblées pour s’adapter au mieux aux spécificités de ce monument historique. Un suivi topographique précis, par géomètre, a été mis en place.
Enfin, le dimensionnement des consolidations a tenu compte des aménagements futurs de la surface.
Réalisés en plusieurs phases entre 2014 et 2016, ces travaux de confortation traditionnelle se sont terminés durant l’été 2016. Puis les travaux de construction en surface (aménagements d’immeubles) se sont déroulés jusqu’au début de l’année 2018.
INSTRUMENTATION
La carrière a été instrumentée en avril 2013, puis en juin 2016, pour suivre son évolution durant la phase de confortement (en niveaux supérieur et inférieur) et durant la phase de travaux consécutifs à la construction d’immeubles en surface. Au total, 5 cannes de convergence et 8 fissuromètres ont été installés (photo 4, photo 10, photo 11).
La surveillance instrumentée de cette carrière a notamment pour but de prévenir tout risque pour le personnel travaillant en souterrain et en surface. Des seuils de vigilance et d’alerte ont été définis par le maître d’oeuvre préalablement à la phase de travaux. Dès qu’un seuil d’alerte était atteint, une alarme visuelle et sonore devait retentir dans la carrière pour permettre à l’ensemble du personnel d’évacuer le chantier. En parallèle, un système d’envoi d’alarme par mail et SMS avait été mis en service pour avertir le maître d’ouvrage et le maître d’oeuvre.
Les différentes mesures de déplacement et de température témoignent que la carrière a connu une évolution significative mais provisoire en matière de stabilité lors des phases de consolidation en souterrain (déplacements de l’ordre de 0,5 mm pour les cannes de convergence). Durant les travaux de construction de l’immeuble en surface, les cannes de convergence positionnées au droit des travaux de terrassement et du futur immeuble témoignent d’abord d’une brève divergence du ciel par rapport au mur de la carrière, probablement liée à la décompression des terrains suite aux terrassements (décaissements) en surface. Puis, on note une lente et progressive convergence du ciel de carrière, signe d’une recharge en surface (construction de radier, planchers, murs…).
Dès la fin des travaux, les capteurs ont globalement retrouvé un niveau d’équilibre (figure 12) :
vitesse de déformation faible (comprise entre 0,1 et 1 mm/an). De telles vitesses traduisent un effet de vieillissement de l’ouvrage souterrain. Cette information était corrélée avec des visites régulières de contrôle du site par l’Ineris qui ne laissaient apparaître aucune dégradation perceptible de la carrière.
Le chantier de consolidation mené dans la carrière du chemin de Port-Mahon a ainsi permis de traiter les faiblesses structurelles de l’ouvrage souterrain, tout en restaurant et valorisant les éléments patrimoniaux d’un site classé monument historique. Valorisation souterraine, gestion des risques géotechniques et travaux de consolidation ne sont donc pas incompatibles :
l’exemple du chantier de la carrière souterraine du chemin de Port-Mahon, rue de la Tombe-Issoire à Paris, peut même laisser penser qu’ils sont complémentaires.
*Terme désignant le mécanisme et le
phénomène de dégradation du ciel d’une galerie qui, par éboulements successifs, remonte vers la surface.
** Rapport de la surface des vides à la
surface totale exploitée.
Catherine Pinon, ingénieur géotechnicien à la direction des risques du sol et du sous-sol
de l’Ineris, Verneuil-en-Halatte
Guillaume Lecomte, chargé d’affaires travaux chez Sefi-Intrafor, Grigny
Anne-Sophie Vassort, directrice de programmes chez Soferim, Paris