Défi financier, défi technique, le plus grand chantier européen d’infrastructures du moment présente, aussi, un véritable défi environnemental avec un enjeu majeur qui réside dans
l’optimisation de la gestion des déblais. Explications.
La construction des 200 km de lignes du futur métro francilien, des 68 gares, des puits d’entrées et des ouvrages annexes doit en effet générer la création de quelque 45 Mt de déblais – soit l’équivalent de 7 fois l’ensemble des pyramides de Gizeh ! – que la Société du Grand Paris entend revaloriser à
70 %. Faute de foncier disponible sur le tracé en site urbain ou périurbain, ces déchets ne pourront souvent pas être stockés à proximité de leurs lieux de production. Pas question non plus, comme il est de mise sur les grandes opérations de terrassement d’infrastructures routières ou ferroviaires en « plein air », de chercher à équilibrer le profil en long des ouvrages en affectant les déblais dans les zones requérant des remblais.
ENVIRON 2 000 TONNES/JOUR DE DÉBLAIS PAR TUNNELIER
Les travaux sont ici souterrains et la grande masse des déblais sera issue du creusement des tunnels avec des débits importants. À sa vitesse de croisière, un tunnelier produit près de 2 000 t/j de déblais. Un volume tout à fait gérable, alors que le seul tunnelier en service à ce jour creuse ses premiers mètres sur une voie de raccordement de la ligne 15 sud ; mais qui sera plus délicat à « absorber »
à l’horizon 2020-2022, quand 20 tunneliers opéreront de concert sur les différentes lignes du tracé.
D’autant que se déroulerontsimultanément les travaux d’excavation d’une bonne partie des gares, représentant chacune en moyenne près de 200 000 t de terrassement.
Quelles destinations prendront alors les déblais du Grand Paris Express ?
Des pistes existent*, évidemment, que la Société du Grand Paris explore et promeut systématiquement, d’abord en informant : « Depuis plusieurs années, nous oeuvrons afin de mobiliser les parties prenantes. Nous travaillons en particulier en concertation avec les établissements publics d’aménagement susceptibles de développer des projets de proximité nécessitant un apport de matériaux. La grande difficulté de l’exercice est celle de la concordance des temps. Afin d’éviter des surcoûts trop importants liés au stockage ou à la reprise des déblais, il est nécessaire d’adopter une gestion en flux tendu, sous peine d’aboutir à un surcoût exorbitant », relève Frédéric Willemin, directeur de l’ingénierie environnementale de la Société du Grand Paris, qui distingue plusieurs catégories de projets capables de recueillir une grande quantité de déblais.
La création de golf en est un. Comme l’illustre le futur golf de Thiverval-Grignon (Yvelines), où des déchets inertes provenant des chantiers du Grand Paris Express trouvent déjà affectation. Le projet
est d’importance. Sur une superficie de 60 ha doit être créé un golf de 18 trous, ses practices et ses
équipements, au prix d’un aménagement paysager conséquent pour modeler le parcours et offrir
aux golfeurs un environnement agréable. Pour ce faire, les opérations de remblaiement, organisées
en 4 phases, mettront en oeuvre quelque 7 Mt de terres et de gravats d’ici 2020 ! Dans le même
ordre d’idée, les parcs urbains constituent une autre piste de valorisation des déblais à grande échelle.
1,3 MILLION DE TONNES DE DÉBLAIS POUR UN PARC À CHELLES-MONTFERMEIL
Le parc du Sempin est la traduction à la fois la plus avancée et la plus importante du partenariat tissé entre la Société du Grand Paris et les aménageurs. Propriété de la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural d’Île-de-France (Safer), le site s’étend sur les communes de Chelles (Seine-et-Marne) et de Montfermeil (Seine-Saint-Denis). Exploité comme carrière de gypse au début du XXe siècle, en partie remblayé dans les années 1990, il fut fermé au public à la suite de la découverte de zones d’effondrements. La sécurisation et le réaménagement de la friche dans la perspective de sa réouverture future au public passent aujourd’hui par un apport important en matériaux.
« La Safer, maître d’ouvrage de l’opération, prévoit l’emploi de 2,6 Mt de matériaux, dont au moins la moitié proviendra du creusement de la ligne 16, au niveau de la gare de Chelles. Le puits d’entrée du tunnelier – qui servira donc de puits de sortie des déblais excavés – est situé à quelques centaines de mètres seulement du parc. Nous sommes dans la logique des circuits courts, que nous souhaitons privilégier pour d’évidentes raisons économiques et environnementales », complète Frédéric
Willemin. Pour sa part, Pierre Missioux, directeur général de la Safer Île-de-France, se félicitait, au moment de la signature du partenariat, de pouvoir remodeler et participer à la renaissance d’un parc urbain tout en contribuant « à la diminution d’implantation de sites de stockage sur les terres
agricoles ». D’autres aménagements de parcs urbains devraient voir le jour sur le tracé du Grand Paris Express.
Les carrières constituent une autre possibilité d’absorber de grands volumes de matériaux pour leur réaménagement. « Il existe des sites en Île-de-France prêts à recevoir des déblais. Je pense notamment aux carrières de Pécy (Seine-et-Marne), aux carrières Guerville (Yvelines), ou encore à des carrières de gypse dans le Val-d’Oise, à Cormeilles-en-Parisis par exemple. »
Une convention spécifique a été signée le 25 janvier 2017, entre Placoplatre (enseigne du groupe Saint-Gobain) et la Société du Grand Paris. Cet accord porte sur la réservation à hauteur de 50 % d’un volume à remblayer, réparti sur 4 carrières franciliennes de gypse pour le stockage de déblais gypsifères en provenance du Grand Paris Express, soit l’équivalent de près de 4 Mt sur 5 ans (2017-2021). Cet accord permet à la Société du Grand Paris de sécuriser des exutoires à proximité des chantiers pour ce type de déblais, dont la quantité estimée sur le Grand Paris Express est de l’ordre de 8 Mt.
Les déblais des travaux souterrains pourraient aussi retourner… sous terre ! La Société du Grand Paris et l’Ademe ont en effet primé (avec 7 autres solutions innovantes de gestions des déblais) le procédé « Solpur ».
Développée par les sociétés Terbis et ETPO, la technique vise à utiliser les déblais transformés en coulis pour être injectés en confortement de carrières souterraines. Comme les autres innovations retenues, Solpur doit faire l’objet d’expérimentations avant d’être mise en oeuvre en vraie grandeur sur les chantiers du Grand Paris Express. En l’occurrence, la solution est actuellement testée sur un chantier aux portes de Paris, à Bagnolet.
Évidemment, les possibilités de recyclage sont aussi envisagées en fonction de la nature des déblais. Elles consistent, notamment, à réutiliser les sables, après lavage, et les granulats, après tri et concassage, comme matériaux de construction de bâtiments ou de chaussées.
Difficile pour autant de dire, d’ores et déjà, quelle sera la fraction de déblais recyclés puisque les grands terrassements débutent tout juste. Mi-avril 2018, seulement 1,5 Mt de déblais avaient été extraites sur les différents chantiers et avaient pris la direction de plusieurs dizaines d’exutoires, en Île-de-France et au-delà. Une certitude : la pollution des déblais, dûment contrôlée, ne sera pas un sujet majeur. « À ce jour, 8 000 t de terres polluées, soit un peu moins de 0,5 %
du total, ont été dirigées vers des centres spécialisés. Les filières en place sont tout à fait capables de traiter de tels volumes. Cela ne modifie pas l’économie du secteur », conclut Frédéric Willemin.
Philippe Morelli