La commune de Bastia s’offre une passerelle longue de 450 mètres, nichée à flanc de falaise, qui longe le socle
rocheux de l’ancienne citadelle classée monument historique. Son nom : « Aldilonda », qui signifie « Au-dessus de
l’eau » en corse. Son objectif : permettre aux piétons, cyclistes et personnes à mobilité réduite de se déplacer, tout
en reliant le quai du vieux port à la route du front de mer. L’enjeu architectural est de valoriser le patrimoine de la
ville et de reconnecter Bastia à sa façade maritime. Le tout à cinq mètres au-dessus de la mer ! Visite d’un chantier
hors du commun, complexe et unique.
La Ville de Bastia s’est lancée dans un projet complexe, technique et hors normes du fait de son emplacement.
En effet, démarré en 2019, ce chantier consiste à mettre en place une passerelle de promenade de 450 m de longueur, pour faire le lien entre le sud et le nord de la ville. Mais cette passerelle n’est
pas une simple passerelle, puisqu’elle est construite à flanc de falaise et à 5 m au-dessus de la mer ! Une construction qui a dû répondre à de nombreuses contraintes techniques.
L’ALDILONDA : UN VOYAGE « AU-DESSUS DE L’EAU »
« Compte tenu du nombre important de déplacements internes à la commune, la ville de Bastia dispose d’un cadre favorable au développement du vélo – 70 % des déplacements font moins de 5 km, soit moins de 25 min à vélo par trajet parcouru, selon une enquête menée par la Région. Aussi, ces dernières années, la Ville s’est engagée dans une politique cyclable ambitieuse. En 2018, elle s’est dotée d’un schéma directeur des liaisons douces afin d’avoir un véritable outil de planification et
d’organisation de la mobilité active pour son territoire. Ainsi, l’Aldilonda s’inscrit dans le cadre de ce schéma directeur. Il s’agit d’un véritable balcon sur la mer, au droit des remparts, qui donnera la possibilité aux Bastiais de rallier le nord et le sud du territoire à pied ou à vélo, tout en offrant une promenade exceptionnelle au coeur de la ville. Le projet reconnecte également la ville avec sa façade maritime », explique Jérôme Terrier, directeur général des services de la Ville de Bastia.
« Et pour la petite histoire, cette opération baptisée « Aldilonda » signifie littéralement « au-dessus des flots » : c’est vraiment un véritable balcon surplombant la citadelle de Bastia et qui s’étire sur environ 450 m », ajoute le directeur général des services en charge des travaux.
Et pour la réalisation de ces travaux, la maîtrise d’oeuvre a été confiée à Dietmar Feichtinger Architectes, cabinet connu pour ses travaux sur des ouvrages spéciaux, tels que la passerelle Simone-de-Beauvoir à Paris, ou celle du Mont-Saint-Michel dans la Manche, et l’agence Buzzo Spinelli. Ensemble, ils ont donc imaginé un ouvrage d’environ 450 m de longueur, qui suit le tracé de la falaise en surplombant la Méditerranée, le tout à 5 m au-dessus de la mer.
PHASES DES TRAVAUX
L’Aldilonda est composée de plusieurs séquences, une succession d’ouvrages assez techniques : une rampe d’accès au sud, une galerie de 25 m de longueur, une promenade littorale, « qui est la partie au-dessus de la mer et qui est la longueur principale du projet », souligne Franc Chabbert, directeur
NGE Fondations agence de Nice, et une rampe d’accès au nord.
« La rampe sud permet de relier le Spassimare (autre projet) à la galerie traversant le bastion. Elle annonce la suite de la promenade pour les usagers provenant du sud. Le revêtement de sol est identique à celui du reste du cheminement, béton de site squamé avec incrustations d’éclats de roche du site. La galerie, quant à elle, permet de traverser le bastion en souterrain. Elle est composée d’un volume parallélépipédique constituant le passage, et d’un puits de lumière et escalier d’accès.
Toutes les parois sont revêtues verticalement d’une finition en béton brut coffré, avec des planches de bois disposées horizontalement. Le revêtement de sol est identique à celui du reste du cheminement,
béton de site squamé avec incrustations d’éclats de roche du site. Un escalier en béton donne accès au parvis autour du bastion », complète le directeur général des services de la Ville de Bastia.
« Concernant la galerie, et afin de créer ce tunnel, nous avons utilisé le système de paroi clouée et
de micro-berlinoise », complète Franc Chabbert. La rampe nord prend place, quant à elle, sur la jetée dite du dragon. Elle est constituée d’une plateforme d’élargissement de la digue existante, fonctionnant en radier, et d’une rampe agissant comme contrepoids. La dalle est préfabriquée par morceaux transportables, et la rampe est coulée en place. Les ancrages prennent place dans ces épaisseurs de béton coulé en place. La première phase de travaux concernait des opérations de déroctage (1 200 m3 déroctés). Certaines zones difficiles d’accès ont totalement été déroctées par microminage, associé à l’utilisation éclateur hydraulique avec finition au marteau piqueur. Quant aux zones accessibles, elles ont été déroctées par des engins de terrassement, la plupart du temps grutés sur site à l’aide d’engin de levage.
UN CHANTIER PAR LES AIRS !
Les engins de levage sont effectivement assez présents sur ce chantier, car comme nous l’explique le directeur NGE Fondations de l’agence de Nice : « La plus grande problématique sur ce chantier a été son accès. Nous sommes, en effet, au ras de la mer et nous n’avons pas pris l’option de travailler par la mer pour différentes raisons, comme, par exemple, les conditions météo qui pouvaient être parfois défavorables, pénalisant ainsi le chantier. Nous avons aussi évoqué la mise en place d’un blondin
tout du long, mais sans grand succès. Nous avons même évoqué la possibilité de travailler à l’hélico, mais ce n’était pas réalisable… et donc nous avons travaillé par grutage. » L’équipe NGE Fondations
a donc dû installer une grande grue en partie basse au sud du chantier. Cette même grue alimentait ainsi d’autres grues qui étaient en haut du chantier et qui permettaient d’alimenter chaque poste de travail. « C’est un chantier que nous avons réalisé par les airs ! », sourit Franc Chabbert.
CRÉATION DE LA PROMENADE LITTORALE
La partie la plus spectaculaire reste la réalisation de la promenade littorale menée par NGE Fondations. « Pour la réalisation de la structure de l’ouvrage, il a été choisi d’employer le matériau béton pour ses qualités en termes de très grande solidité et de robustesse, et pour sa bonne durabilité en milieu marin. Les techniques utilisées sont des techniques de mise en oeuvre du béton armé et précontraint », commente Jérôme Terrier.
Sa structure se présente sous la forme de deux systèmes : passage sur la mer et passage sur roche. Pour le premier, la promenade littorale « en balcon » sur mer est soutenue par 23 consoles ancrées dans le massif rocheux par le biais de tirants d’ancrage (5 à 6 tirants d’ancrage par console).
« C’est en effet, le système de consoles avec des tirants d’ancrage précontraint qui a été retenu », commente ce dernier. Le principe est de précontraindre les ancrages (actifs), puis de les protéger
avec protection P2. Les ancrages sont protégés du milieu marin par le béton.
Ainsi, ces consoles sont préfabriquées, puis ancrées dans la roche à l’aide de tirants d’ancrages passivés. Les têtes d’ancrages sont inaccessibles une fois l’ouvrage fini. La longueur et la hauteur
au niveau de l’interface console/roche de ces éléments varient en fonction des inflexions du littoral.
« Chaque mise en place de console est un chantier à part entière, c’est-à-dire qu’il existe une note de calcul par console, car chaque console a une géométrie d’effort différente, ce qui complexifie le chantier », complète Franc Chabbert.
Entre ces consoles composant la structure primaire sont posés 18 éléments de tablier. Ceux-ci sont constitués de caissons préfabriqués en béton, d’une largeur constante de 2,40 m. Les éléments de
tablier en béton sont positionnés en bout de console. Les zones de clavage permettent de lier les tabliers aux consoles. Le restant de la surface de la promenade est constitué d’un caillebotis, disposé entre le caisson préfabriqué et le massif rocheux. Toutes ces manipulations se font depuis le haut des remparts de la citadelle avec des engins de levage.
Pour le passage sur roche, les parties posées sur la roche affleurante sont coulées sur place. La longueur des tabliers est définie de manière à ce que chaque élément soit transportable et que le nombre de moules soit restreint. Ainsi, le découpage des pièces posées sur la roche est fait en fonction des changements de rayon de courbure du tracé général. Les dalles préfabriquées sont posées sur au moins deux tiers de la surface, mais peuvent dépasser en porte-à-faux sur 1 m.
Un système de bêches permettant de transmettre les efforts horizontaux induits dans les passages sur mer à la roche est proposé en parties posées de reprise.
IMPRÉVUS TECHNIQUES
Sur place, les équipes se sont heurtées à des difficultés techniques. « La géotechnique s’est avérée compliquée, avec par endroits une roche altérée. Nous avons rencontré des plans de failles et des
veines argileuses qui nous ont contraints à utiliser des barres d’ancrages de 24 m de longueur pour les consoles », observe Jean-Philippe Spinelli. Des cavités ont également été constatées à certains endroits. « On s’est rendu compte que la roche sous la citadelle n’était pas homogène. Il a donc fallu purger les parties terreuses et les combler. On a, par exemple, découvert une poche de vide de 100 m3 sous les remparts. On l’a bien entendu sécurisée. Ce projet, c’est donc aussi l’occasion de
restaurer les remparts qui n’ont pas été regardés depuis longtemps, et sont parfois en assez mauvais état », précise-t-il.
ESSAIS 2D/3D EN BASSIN
À noter qu’en phase étude des essais 2D et 3D en bassin ont été réalisés avec le bureau d’étude Océanide à La Seyne-sur-Mer, afin de dimensionner l’ouvrage face à la houle. Les différents résultats
des deux campagnes d’essais 2D et 3D) ont fait légèrement évoluer le projet avec l’intégration de caillebotis côté rocher. La promenade est un travail sur mesure par rapport à la géographie et la topographie du site (et notamment les courbures des rochers) afin d’y intégrer le plus pertinemment
possible les consoles eu égard aux résultats des essais 2D et 3D qui ont permis de localiser les zones de concentration dû à la bathymétrie du site. L’ouvrage est dimensionné pour un fonctionnement normal à un impact de la houle cinquantenaire. Toutefois, les coefficients de sécurité pris en compte (1,5) ramènent le dimensionnement à une résistance à la houle centennale.