Le procédé Biocalcis est un nouveau procédé d’injection de sol par voie biologique qui conduit à la formation de calcite
(carbonate de calcium) qui cimente les grains de sols entre eux. Il repose sur un processus de biominéralisation, terme
qui qualifie des dépôts minéraux formés par des organismes vivants, tels que notamment les bactéries, les champignons
ou les algues. On peut citer à titre d’exemple la formation des coraux qui résulte de ce mécanisme. Des applications
industrielles dans les domaines du médical ou de l’aéronautique ont aujourd’hui été développées. L’un des avantages est l’obtention de composés cristallisés généralement beaucoup plus résistants mécaniquement que leur homologue obtenu par voie chimique.
Le procédé Biocalcis reproduit, en effet, un mécanisme de biominéralisation, car il fait appel à des bactéries calcifiantes. Par réaction entre ces bactéries et une solution nutritive, il en résulte un phénomène de précipitation de calcite qui apporte de la cohésion au sol traité, sans en modifier sa perméabilité. La qualité mécanique du biominéral formé repose sur les propriétés et la stabilité des bactéries produites à l’échelle industrielle ainsi que sur la maîtrise du procédé de mise en oeuvre. On soulignera notamment l’importance de la composition de la solution calcifiante et des paramètres
d’injection qui doivent être systématiquement et spécifiquement adaptés au milieu à traiter et aux objectifs visés.
Les applications dans le domaine de la géotechnique sont nombreuses.
Elles concernent les traitements antiliquéfaction, la réduction de poussée active (remblais renforcés, quais maritimes), la stabilisation de talus, le traitement contre l’érosion interne (digues, barrages).
Les phénomènes d’érosion sont responsables de la moitié des ruptures des endiguements et barrages en remblai dans le monde. Une étude sur les performances du procédé Biocalcis pour éviter le processus d’arrachement et de transport de grains du matériau constitutif des ouvrages a donc été réalisée.
Les principaux résultats sont résumés ci-après.
PRINCIPES GÉNÉRAUX DE BIOCALCIFICATION
La cimentation biologique est obtenue grâce à une réaction enzymatique conduisant à la formation de calcite in situ. Cette réaction est catalysée par une bactérie non pathogène et naturellement présente dans les sols –Sporosarcina pasteurii – en présence d’une solution calcifiante composée d’urée et d’un sel de calcium.
Le procédé Biocalcis, développé et breveté par Soletanche Bachy, peut être utilisé pour des applications sous nappe statique ou hors nappe, pour des applications très variées, telles que des traitements contre la liquéfaction, la réduction de poussée active (remblais renforcés, quais), la stabilisation de talus, la restauration de monuments historiques, etc.
Lors de sa mise en oeuvre dans un massif de sol, l’injection s’effectue en deux phases. Une suspension de bactéries est tout d’abord injectée ; les bactéries sont ensuite laissées au repos quelques heures pour favoriser leur fixation dans le sol. La solution calcifiante est injectée dans un deuxième temps ; elle est également laissée au repos pendant environ 12 h, le temps nécessaire pour que les réactions d’hydrolyse de l’urée et de précipitation de calcite opèrent. Selon la quantité de calcite recherchée, le cycle d’injection de solution calcifiante et de bactéries peut être répété plusieurs
fois. Les propriétés physiques et mécaniques du sol traité sont atteintes en un ou deux jours à l’issue du traitement et n’évoluent plus dans le temps.
La calcite correspond à une forme minérale très stable de carbonate de calcium CaCO3. Les cristaux formés vont lier physiquement les grains de sol entre eux et considérablement augmenter la cohésion et la résistance mécanique du milieu traité. Le matériau obtenu est assimilable à un grès calcaire dont
la résistance mécanique peut atteindre en moins d'une semaine – en fonction des paramètres du traitement – quelques centaines de kPa (comme une argile dure) à plusieurs MPa (comme
un béton). On soulignera que ces très fortes résistances mécaniques sont obtenues en multipliant les cycles d’injections et que ces applications ne sont pas visées par le procédé Biocalcis.
APPLICATION DE BIOCALCIS POUR STOPPER L’ÉROSION INTERNE SUR DES DIGUES
Cette thématique d’étude était inscrite dans le projet Boreal (FUI16 ; 2014-2019) réalisé conjointement entre Soletanche Bachy et deux maîtres d’ouvrage (EDF, CNR), deux PME spécialisées dans les diagnostics des structures hydrauliques (geophyConsult) et de qualité environnementale (Enoveo) ainsi que trois laboratoires universitaires (IGE et 3SR de Grenoble, Microbiogéologie d’Angers). Ce projet portait sur l’étude de l’application du procédé Biocalcis sur des ouvrages hydrauliques en charge
(digues fluviales, canaux hydroélectriques et canaux d’irrigation) par rapport aux problématiques suivantes :
Le projet a été structuré en 7 lots techniques distincts articulés autour d’un cahier des charges fixé par EDF et CNR. L’optimisation a porté sur les aspects du procédé de biocalcification (formulation
– mise en oeuvre – contrôles), les performances au niveau mécanique, la modélisation numérique du procédé (dimensionnement– design) et l’évaluation des performances environnementales.
L’ÉTUDE DES DIFFÉRENTES FORMES D’ÉROSION
Les différents types d’érosion interne
Il existe 4 types d’érosion interne :
1. l’érosion de trou, qui est un entraînement des particules qui tapissent la surface d’un conduit accidentel (trou d’animal, fissure, ou cavité laissée en place par déficience du compactage) ;
2. l’érosion régressive, qui est le détachement des particules sous les suintements
de l’écoulement, à la sortie du matériau ;
3. l’érosion de contact, qui est l’entraînement des particules d’un sol fin, au contact d’un sol grossier ;
4. la suffusion, qui est l’entraînement des particules fines d’un matériau hétérogène à travers les constrictions et les pores formés par les particules les plus grossières.
Les 2 premiers types sont les plus graves et obligent à une intervention rapide ;
les 2 derniers sont plus lents, mais après des dizaines d’années, ils obligent le maître d’ouvrage à intervenir pour stopper les fuites ou pour reconsolider le sol.
Les tests destinés à l’étude de l’érosion
Différents tests d’érosion ont été menés afin de quantifier le gain en résistance à l’érosion apporté par le traitement de biocalcification sur trois types de sols (sable de Fontainebleau, sable 0/4 mm, sables et graviers de Chavenay) traités à différents taux de calcite. Ces échantillons ont soit été prélevés dans le modèle physique du laboratoire CACOH à la CNR (fig.2), soit préparés en colonnes de laboratoire ou directement dans la cellule CET de l’IGE de Grenoble.
L’ensemble des essais d’érosion ont été supervisés par geophyConsult. Ils ont été réalisés directement dans leur laboratoire ou à l’IGE pour les essais CET ; les essais de suffusion ont été sous-traités au laboratoire du GeM à Nantes.
Dans tous les cas, des sols non traités ont d’abord été testés pour servir de référence.
Érosion de contact
La méthodologie retenue s’appuie sur l’utilisation de l’essai CET (Contact Erosion Test) développé par Rémi Beguin en 2011. Cet essai consiste à estimer la vitesse critique au-delà de laquelle le processus
d’érosion s’amorce, en imposant des paliers de vitesses croissantes à un échantillon. Une nouvelle cellule CET a été construite par l’IGE, avec un dispositif permettant l’injection de biocalcification directement dans la cellule et une nouvelle conception de la ligne hydraulique d’alimentation et d’évacuation d’eau.
Le dispositif est conçu pour créer un écoulement tangent à un échantillon bi-couche composé d’une couche de grave (12/20 mm et 5/8 mm pour ces essais) supportant une couche de matériau fin érodable (sable de Fontainebleau pour ces essais). Dans la configuration des essais avec calcification du matériau fin, La cellule permet d’imposer un débit volumique jusqu’à environ 0,85 l/s (correspondant à une vitesse de Darcy maximale de 7,2 cm/s dans la couche de gravier). La quantité
de fines érodées est déterminée par un suivi de turbidité et un prélèvement des particules collectées dans un piège. Le sable de Fontainebleau est naturellement très érodable à une vitesse critique de l’ordre de 1 cm/s. Entre 1 et 2 % de calcite ajoutée, une légère modification de comportement
est observée. Au-dessus de 2 %, un net gain de résistance est identifié, car aucune érosion n’est observée au maximum des capacités du banc, ce qui correspond à une vitesse d’initiation de l’érosion multipliée par au moins 7.
Le traitement permet donc d’augmenter très fortement la résistance à l’érosion de contact d’un sol sableux lorsque celui-ci est traité avec au moins 2 % de calcite à l’interface.
Les autres types d’érosion
Les 3 autres types d’érosion étudiés sont reproduits dans la figure page suivante.
L’érosion de conduit se produit en cas de défaut préexistant dans un ouvrage (fissure, terrier) ce qui apparaît principalement pour des sols cohésifs (limons, argiles). Elle est aussi envisageable dans des sables limoneux partiellement saturés. C’est le Hole Erosion Test (HET) qui est devenu une référence
internationale pour la mesure de la résistance à ce type d’érosion.
Des essais de HET ont donc été conduits sur du sable de Fontainebleau et du sable 0/4 mm traités.
L’essai consiste à imposer un écoulement d’eau à travers un trou de 6 mm foré dans un échantillon. L’analyse de l’agrandissement du trou par érosion des parois au cours de l’essai permet de déterminer la résistance du sol à ce type d’érosion. Les essais de HET ont été conduits sur du sable de Fontainebleau et du sable 0/4 mm ; ces sables ne peuvent pas être testés à l’état naturel, car ils ne sont pas suffisamment cohésifs et ont donc une résistance nulle. Une fois traités et pour des taux
de calcite de l’ordre de 4 %, de fortes résistances à l’érosion ont été obtenues, équivalentes voire supérieures à celle de sols naturels les plus résistants comme les argiles, avec des contraintes critiques de l’ordre de 1 000 Pa.
L’érosion de surface n’est pas une cible principale du traitement Boreal, car des méthodes plus simples de renforcement peuvent être utilisées si la couche à protéger est superficielle. Il était cependant intéressant de caractériser des matériaux biocalcifiés par des essais de Jet Erosion Test qui sont une référence pour caractériser ce type d’érosion. Il a donc été utilisé pour quantifier la résistance à l’érosion de sable de Fontainebleau, sable 0/4 mm et sable et graviers de Chavanay plus ou moins traités.
Les trois types de sols ont été testés par un essai de HET et chacun d’eux a été classé dans la catégorie « très érodable » avant biocalcification, puis « résistant » à « très résistant » après traitement. Avant calcification, les contraintes critiques mesurées sont de l’ordre de 1 Pa, à un taux de calcification de l’ordre de 4 %, elles sont supérieures à 80 Pa.
La suffusion se développe au sein des matériaux à granulométrie instable : certaines petites particules sont mobiles à l’intérieur d’un squelette plus grossier.
Les essais ont été réalisés dans un érodimètre triaxial de 200 mm qui permet de réaliser des essais sous chargement triaxial puis un essai triaxial. Seul le mélange sable et graviers de Chavanay a pu être testé avec ce dispositif, puisque le principe même du test repose sur l’étude de la mobilité de petites particules au sein d’un squelette plus grossier. La résistance à la suffusion a pu être augmentée d’une classe, en passant d’un sol « résistant » à un sol « très résistant » après traitement.
Cependant des difficultés expérimentales liées à l’utilisation de ce sol très hétérogène et possédant des éléments très grossiers ne permettent pas l’interprétation complète de cet essai
CONCLUSION
Il a été démontré qu’un traitement de biocalcification était efficace pour augmenter la résistance à l’érosion dans des terrains de granulométries variables et pour des teneurs en calcite à partir de 4 %. Le procédé se présente donc comme une solution adaptée pour traiter des tronçons de digues.
Les limitations techniques pour ces applications seront notamment liées à :
L’avantage du procédé par rapport à d’autres techniques d’injection sera l’absence du risque de montée en pression au cours de la mise en oeuvre et le maintien de la perméabilité à l’issue du traitement.
Annette Esnault Filet
Chef de projet
Soletanche Bachy avec la participation de Laurent Oxarango, IGE Univ. Grenoble Alpes, CNRS, IRD, G-INP Remi Béguin, Expert Erosion , geophyConsult, Chambéry