Les métrologies optiques sont couramment utilisées pour la caractérisation du comportement mécanique des matériaux dans les laboratoires, et pour le suivi des procédés de fabrication ou la tenue de structures dans l’industrie. Ces techniques permettent de déterminer une grandeur mécanique scalaire, vectorielle ou tensorielle (déplacement, déformation, contrainte…).
La mesure, par nature sans contact, peut être effectuée en un point – on parle alors de mesurage ponctuel – ou sur un ensemble points – il s’agira alors de « mesure de champ »1 . Les méthodes optiques bénéfi cient actuellement du déploiement de systèmes d’imagerie numérique (caméras numériques…) de plus en plus bon marché, et du développement de programmes d’analyse d’images de plus en plus puissants. En outre, elles s’adaptent très facilement à l’échelle investiguée. Elles deviennent donc aujourd’hui attractives pour des applications, tant au laboratoire que sur le terrain dans le domaine de la géotechnique.
PRINCIPE DE LA CORRÉLATION D’IMAGES NUMÉRIQUES (CIN)
La méthode optique la plus utilisée en géotechnique est indubitablement la corrélation d’images numériques (CIN ou en anglais DIC pour Digital Image Correlation) sur une surface plane (mesure 2D suivant deux composantes du vecteur déplacement). L’approche CIN est également de plus en plus mise en œuvre dans le volume (CIV pour corrélation d’images volumiques ou en anglais DVC pour Digital Volume Correlation) pour déterminer les 3 composantes du vecteur déplacement et leurs variations dans l’espace suivant les 3 directions, autrement dit « au cœur » du système étudié.
La technique CIN s’appuie sur deux données de base : une image numérique du système déformé et une image numérique de référence (avant déformation). Chacune de ces images se compose de pixels pouvant être regroupés en sous-domaines, qui seront alors identifi ables par des variations de « niveau de gris » qui seront propres à chaque sous-domaine. La technique CIN vise, pour chaque sous-domaine dont la position est connue dans l’image de référence, à retrouver son homologue dans l’image du système déformé en évaluant le degré de ressemblance des niveaux de gris. Cette procédure de mise en ressemblance ou procédure de corrélation permet ainsi de déterminer le vecteur déplacement associé à chaque sous-domaine. (Figure 1.)
À ce stade, il est important de mentionner que, pour mener à bien cette procédure de corrélation, deux éléments-clés doivent être pris en compte : d’une part, il est nécessaire de défi nir mathématiquement la fonction g relative à la transformation matérielle du sous-domaine. Cette défi nition mathématique est fi xée par l’utilisateur sur la base d’hypothèses cinématiques (continuité ou non du déplacement dans le sous-domaine, déplacement, déformation ou rotation du sous-domaine, etc.) ;
d’autre part, il convient de disposer d’un motif ou « mouchetis » sur la surface du système étudié permettant de garantir de grandes variations de niveaux de gris dans les images. Cette grande « richesse » de niveaux de gris permet à l’algorithme de corrélation de retrouver plus facilement les homologues des sous-domaines dans l’image de l’état déformé en évitant ainsi de « faux amis » potentiels. En pratique, ce mouchetis peut être réalisé par projection d’une peinture à l’aide d’un spray ou d’un aérographe sur la surface. La texture naturelle du matériau peut être également utilisée comme motif élémentaire.
APPLICATIONS EN GALERIE SOUTERRAINE
À notre connaissance, la CIN a été appliquée pour la première fois en galerie souterraine dans la station expérimentale de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) à Tournemire (Aveyron)2 . Le site de Tournemire est constitué d’un ancien tunnel ferroviaire et de galeries excavées dans des formations argileuses (argilites et marnes) du Jurassique et du Toarcien.
De par sa configuration géologique et la nature des roches, ce site expérimental présente de larges similitudes avec celui étudié par l’Andra en Meuse/HauteMarne, mais n’a aucunement la vocation d’accueillir de déchets radioactifs.
L’étude, menée dans la galerie EST96 (excavée en 1996), visait à caractériser la fracturation hydrique consécutive à la dessiccation de la roche argileuse. Le dispositif expérimental mis en place dans la galerie non revêtue s’appuyait sur une zone d'étude (344 × 275 mm²) (fi gure 2.a) située sur le front de la galerie. Des images du massif rocheux (fi gure 2b) furent acquises toutes les 30 min en utilisant une caméra CMOS IDS μeye (1 280 × 1 024 pixels) fi xée à un cintre de soutènement et équipée d'un objectif 50 mm et d'un projecteur lumineux de 400 W. Un micro-ordinateur contrôlait simultanément l’acquisition des images et l’allumage du projecteur lors de l’acquisition des images. Des données climatiques (hygrométrie et température) ont été enregistrées toutes les 15 min à l'aide de capteurs placés à une distance de 2 m de la zone d'étude. La texture naturelle de la roche a été utilisée comme mouchetis. La confi guration du dispositif expérimental a permis d’atteindre une résolution spatiale de 0,269 mm. Cette valeur est inférieure au pixel, pour ce type de méthode souvent appelée « méthode subpixel ». La taille de sous-domaine était d’environ de 10,8 mm.
La figure 3 présente les champs de déplacements plans à l’instant où la variation d’hygrométrie est maximale entre les états de référence et déformé. Les changements importants et locaux de couleurs observés correspondent à un saut de déplacement dû à l’ouverture des fi ssures. Ces fissures sont principalement orientées, parallèlement ou perpendiculairement à la stratifi cation de la roche.
Sur la période d’étude d’un an, cette investigation expérimentale in situ a démontré la capacité de la méthode CIN à suivre d’une part les déplacements spatialisés d’une roche argileuse (fi gure 3), et d’autre part, les ouvertures et les fermetures de ces fissures de dessiccation (fi gure 4) induites par les variations d’hygrométrie dans la galerie.
Plus récemment, des techniques optiques ont été utilisées pour suivre l’évolution temporelle des déformations d’une paroi d’une galerie souterraine (laboratoire souterrain Meuse/HauteMarne de l’Andra), consécutivement à la dépose de cintres de soutènement. L’originalité de l’expérimentation a consisté notamment à enrichir le nombre de composantes de déplacement mesurées par la quantifi cation du déplacement hors plan de la paroi (convergence). On parle dans ce cas de stéréo-corrélation qui se différencie par la mise en œuvre non pas d’une mais de deux caméras filmant la même zone d’étude. Ce développement méthodologique a ainsi permis d’assurer un suivi 3D du déplacement local de la paroi de la galerie.
SUIVI DE LA CINÉMATIQUE DES FISSURES IN SITU PAR CORRÉLATION D’IMAGES ENRICHIE
Ces expérimentations in situ ont également été une opportunité pour développer des algorithmes permettant de localiser au pixel les fi ssures et de quantifi er avec précision, l’ouverture et la fermeture de fi ssures présentes en paroi des ouvrages avec une précision de mesure pouvant atteindre le 1/10 pixel de l’image numérique. L’ensemble des mesurables se présente aussi sous la forme de champs qui permettent d’obtenir pour chaque sous-domaine fracturé l’ouverture (o) et le glissement (s) des bords de la fi ssure (fi gure 5). Les zones blanches sur la fi gure 5 ne présentent pas de fi ssures et les zones de couleurs correspondent à des fi ssures de dessiccation. Ce dégradé de couleurs exprime des valeurs d’ouverture et de glissement différentes le long des fi ssures.
Sans entrer dans des détails qui dépasseraient les propos de cet article, cet enrichissement consiste à introduire une hypothèse cinématique supplémentaire i.e., l’existence d’une ou de plusieurs discontinuités du déplacement, dans la fonction g de la transformation matérielle de chaque sous-domaine.
L’ensemble de ces expériences montre l’intérêt d’employer la méthode CIN sur le terrain, et plus particulièrement dans des ouvrages souterrains impliquant des problématiques de fi ssuration. Ainsi, sur la base des résultats acquis, il est aujourd’hui envisageable comme perspective naturelle à ces travaux de mettre en place un suivi quantitatif et non invasif des fi ssures observées sur des parements en béton d’ouvrages enterrés ou non.
Stephen Hédan
UMR 7285 IC2MP, ENSI Poitiers, Université de Poitiers, Poitiers, France
Valéry Valle
CNRS UPR 3346 Institut PPRIME, Université de Poitiers, Futuroscope, France
Philippe Cosenza
UMR CNRS 7285 IC2MP, ENSI Poitiers, Université de Poitiers, Poitiers, France