QUELLES FONDATIONS POUR LE THÉÂTRE ANTIQUE DE LA PLAINE DE L'ARROUX, À AUTUN ? - <p>Vue du site archéologique de la plaine de l’Arroux. Le théâtre est situé dans le champ cultivé au premier plan. En arrière-plan, le temple de Janus et la ville d’Autun.</p>
01/11/2016

QUELLES FONDATIONS POUR LE THÉÂTRE ANTIQUE DE LA PLAINE DE L'ARROUX, À AUTUN ?


Découverte d’une voûte effondrée lors du décapage de surface de la fouille archéologique en 2014.
De gauche à droite : Filipe Ferreira, archéologue et directeur de la fouille ; Vincent Bichet, maître de conférences à l’université de Besançon ; Matthias Ganne, étudiant-apprenti du master ; Laurent Colin, directeur Hydrogéotechnique Franche-Comté et Hervé Grisey, directeur technique Hydrogéotechnique.
Plan reconstitué du théâtre de la plaine de l’Arroux.

Carte géophysique du site.
Vue générale de la fouille archéologiqueréalisée dans l’angle sud du théâtre en 2014.
Vue des premières élévations du théâtre lors du sondage archéologique réalisé en 2014.

Comment les constructeurs gallo-romains d’un théâtre de 15 000 places ont-ils appréhendé la question des fondations de l’ouvrage sur les alluvions hétérogènes de la plaine alluviale de l’Arroux, aux portes d’Autun ? C’est à cette question que tentent de répondre les étudiants du master de géologie appliquée de l’université de Franche-Comté, dans le cadre d’un projet de recherche collaboratif et innovant qui bénéficie du mécénat de la société Hydrogéotechnique, bureau d’études des sols et fondations.

Avec près de 15 000 places, 116,5 mètres de diamètre et deux ou trois étages de gradins, le théâtre antique extra-muros construit dans la plaine alluviale de l’Arroux, aux portes de la ville
d’Autun, vers la fin du Ier siècle apr. J.-C., est l’un des plus grands théâtres de la Gaule romaine. Cette construction imposante, construite principalement en grès, s’inscrivait dans un vaste ensemble cultuel et balnéaire établi aux portes de la ville allo-romaine. Sans doute utilisé pour de grandioses festivités, le théâtre était associé à un ensemble de temples, de thermes, de tavernes et d’ateliers qui devaient accueillir de nombreux visiteurs venus de toute la région lors de grands pèlerinages annuels.
De ce vaste complexe, il ne reste aujourd’hui sur pied que la tour du temple de Janus qui surplombe la plaine alluviale de ses 24 mètres de hauteur, et qui a miraculeusement traversé les siècles.
En effet, le théâtre et les autres bâtiments du site ont été abandonnés avant la fin du IIIe siècle de notre ère, puis totalement démantelés au cours des siècles suivants. Le théâtre lui-même n’a été découvert sous les cultures de céréales qu’en 1976, à l’occasion d’une prospection aérienne.
Il fait aujourd’hui l’objet d’un projet de recherche archéologique mené par le service archéologique de la ville d’Autun, l’université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne et les archéologues du laboratoire de chrono-environnement des universités de Bourgogne et de Franche-Comté. Des prospections géophysiques et deux campagnes de fouilles menées sur une partie de l’édifice ont permis d’en appréhender le plan et de reconnaître très partiellement les premières assises de construction jusqu’au niveau supérieur des fondations.

 

UNE CONSTRUCTION IMPOSANTE FONDÉE SUR LES ALLUVIONS

 

À l’occasion d’une discussion informelle entre géologues et archéologues du laboratoire CNRS chrono-environnement, la question des techniques de fondation fut abordée
un peu par hasard. Comment l’ouvrage a-t-il été fondé sur les alluvions hétérogènes de
la plaine alluviale dans lesquelles les prospections électromagnétiques ont mis en évidence des paléochenaux sous la construction ? Quelle est la capacité portante admissible par les alluvions ? Les fondations ont-elles été adaptées à ce contexte particulier ou simplement surdimensionnées pour pallier tout aléa ? La courte vie du théâtre, qui fut fonctionnel moins de deux siècles, est-elle en lien avec d’éventuelles instabilités du sous-sol qui auraient mis à mal l’édifice ? Les moyens de la mécanique des sols et de la géotechnique étant rarement mis en oeuvre dans le cadre des recherches archéologiques, ces questions ont quelque peu interpellé les archéologues et généré une collaboration inédite entre archéologie et géotechnique.

 

UN PARTENARIAT DE RECHERCHE ORIGINAL


C’est à ce programme de recherche archéologique, consacré au théâtre antique de la plaine de l’Arroux, que se sont associés une dizaine d’étudiants-apprentis du master de géologie appliquée de la faculté des sciences de Besançon, dans le cadre d’un projet volontaire développé au cours des deux années de leur cursus de master. Pour mener à bien cette étude géotechnique, les étudiants ont reçu le soutien efficace et enthousiaste de la société Hydrogéotechnique, partenaire de longue date du master de géologie appliquée, qui s’est engagée, à travers une opération de mécénat, à la réalisation
d’essais in situ, et a fourni l’appui de sa cellule d’ingénierie et de calculs.

 

PROGRAMME D’INVESTIGATIONS DU TERRAIN AU LABORATOIRE

 

Visites de théâtres antiques, échanges avec les archéologues spécialistes du bâti romain, analyse des données des fouilles et des prospections géophysiques ont permis aux étudiants de
caractériser le contexte et de formuler des hypothèses crédibles quant aux descentes de charges générées par la construction. Sur ces bases, un programme d’investigations géotechniques a été proposé et discuté avec les ingénieurs de la société, en tenant compte des contraintes archéologiques du site, des objectifs de l’étude et des disponibilités matérielles et humaines proposées par Hydrogéotechnique. Un exercice pédagogique complet qui confronte objectifs et moyens tels que le vivent les praticiens au quotidien.
Élaboré au cours du premier semestre 2015, ce programme s’est concrétisé à l’automne dernier avec une campagne de reconnaissance géotechnique sur le terrain.
Sur site, Hydrogéotechnique a exécuté deux carottages rotatifs, deux forages avec essais pressiométriques, et six essais au pénétromètre statique lourd pour caractériser les alluvions et le
substratum rocheux sous-jacent. L’un des forages a été équipé en piézomètre, associé à une sonde d’enregistrement du niveau piézométrique pour mesurer les variations du niveau de la nappe. Ces essais ont été complétés par une série d’essais au pénétromètre dynamique et une campagne d’investigations géophysiques par panneaux électriques réalisées par les étudiants.
Les échantillons prélevés dans les carottages ont permis la réalisation d’essais d’identification et de mécanique des sols par les étudiants dans le cadre de leurs enseignements en travaux pratiques, dans les locaux de l’UMR CNRS chrono-environnement.

 

PREMIERS RÉSULTATS ET PERSPECTIVES


L’ensemble des investigations in situ et en laboratoire a montré la forte hétérogénéité de faciès des alluvions rencontrées sous 2 à 3 mètres de remblais et sols remaniés renfermant les vestiges
et débris du théâtre. Les alluvions correspondent à des alternances de lentilles argilo-limoneuses, sableuses et sablo-graveleuses, mais dont la compacité est globalement élevée. Le substrat rocheux correspond à des grès, rencontrés à des cotes variables, entre 5 et 8 mètres de profondeur.
Si les premiers résultats acquis montrent que les caractéristiques mécaniques du contexte géologique paraissent adaptées pour supporter les charges générées par le théâtre – ce qui semble
exclure l’idée que la ruine de l’édifice ait été liée au contexte géotechnique –, des investigations complémentaires sont envisagées pour caractériser les chenaux identifiés par les prospections géophysiques, mais non reconnus par forage à ce stade de l’étude, et dont la nature et les caractéristiques pourraient être moins optimales.
Des échanges entre géotechniciens et archéologues sont en cours pour confronter les données géotechniques aux éléments de connaissance disponibles quant à la structure du théâtre et à ses fondations. Dans cette optique, une nouvelle campagne de fouille, programmée au cours de l’été 2016, devrait également permettre de porter un regard plus détaillé sur la nature des fondations de l’ouvrage.
Cette expérience innovante en termes d’enseignement et de recherche devrait contribuer à une meilleure connaissance des techniques mises en oeuvre par les bâtisseurs romains pour la construction d’ouvrages spectaculaires, dont certains ont résisté au temps. Au-delà de sa contribution à la recherche archéologique, elle est aussi une expérience formatrice pour les étudiants et le symbole d’un partenariat opérationnel entre le monde de l’entreprise et l’Université.