C’est au coeur d’un massif forestier en République tchèque qu’ENKA SOLUTIONS – marque de Low & Bonar, producteur et fournisseur mondial de géosynthétiques de haute qualité
et spécialisé dans la production de non-tissés, tissés, de composites, de fibres… pour le génie civil – est intervenu en utilisant une structure renforcée par géosynthétiques afin de réduire la poussée latérale du sol sur un site de stockage souterrain de pétrole brut de grande capacité.
Ce projet, sous maîtrise d’oeuvre Arcadis, a remporté le prix de la construction « Stavba roku » 2012,
décerné par la Chambre des architectes et l’Association nationale de l’ingénierie tchèque, récompensant la singularité des solutions employées.
En effet, l’utilisation des géosynthétiques a constitué l’un des éléments majeurs de la réussite de ce projet en raison des nombreux avantages que cette solution proposait, tant au niveau technique que de la maîtrise des coûts de construction, des délais de réalisation et de l’impact sur l’environnement. La construction de cette installation par CEPRO, l’un des principaux distributeurs de pétrole brut en République tchèque, permet d’améliorer l’approvisionnement de la partie orientale du pays. Si
l’emplacement choisi pour cette nouvelle installation de stockage était idéal sur le plan de la logistique,
la situation du site n’aurait pas pu être plus délicate en matière de contraintes géotechniques et environnementales. Car l’installation est située dans le sudest du pays, sur les contreforts du mont Kelčský Javornik, sur la commune de Loukov, près de Bystřice pod Hostýnem. À cheval entre
deux parcs nationaux réputés pour leur paysage et leur biodiversité, cette région présente une grande richesse géologique et écologique.
En elle-même, la construction de cette installation représentait un défi majeur, non seulement par
la présence de silos de stockage dont les volumes étaient exceptionnels, mais aussi en raison de
toutes les structures connexes, systèmes d’exploitation et de distribution, protection incendie, voies
d’accès nécessaires au fonctionnement et à la mise en sécurité de l’ouvrage. De toute évidence, une
conception non conventionnelle sur une installation industrielle de cette nature semblait inévitable !
QUATRE SILOS DE PLUS DE 100 000 M3
Le cahier des charges prévoyait la construction de quatre grands silos souterrains d’une capacité de stockage de 35 000 m3 chacun, installés sur un terrain naturel présentant une déclivité vers le nordouest de 6° environ. Le diamètre intérieur de chaque silo est de 47,80 mètres pour une hauteur sous ouvrage de 27 mètres. Les silos devaient être partiellement enterrés sur une profondeur de
12 mètres, et les parties non enterrées sont végétalisées, de sorte que les seuls éléments visibles sont
aujourd’hui les interfaces appartenant aux différents systèmes de contrôle et d’exploitation, les bâtiments de la station de pompage, le système de protection incendie ainsi que les voies d’accès.
GÉOLOGIE ET CONTRAINTES DU SITE
D’après l’étude géologique du site, le terrain était traversé par trois types de sols différents : des argiles gonflantes dans le secteur I ; des grès dans le secteur II ; et des couches successives d’un
mélange de pierres et d’argile dans le secteur III. Les argiles ont été considérées comme inappropriées pour asseoir les fondations du projet. En revanche, les grès du secteur II et le mélange de pierres et argile dans le secteur III constituent des appuis solides et aptes à recevoir les fondations
de l’ouvrage. L’implantation initiale de deux silos sur les argiles gonflantes du secteur I devait donc être reconsidérée. En plus de la dimension géotechnique, les ingénieurs ont dû prendre en compte les contraintes réglementaires applicables aux installations de stockage de liquide combustible vis-à-vis de la santé, de la sécurité et de la protection de l’environnement. Les principaux enjeux consistaient à prévenir toute contamination du sol, les risques d’explosion et d’incendie, et à protéger et sécuriser le site contre les risques d’intrusion et de malveillance. Cet aspect réglementaire ayant été évalué par un comité d’approbation dès la phase de conception initiale, le projet a été intégré dans son environnement en respectant les volets sécuritaires et sanitaires, et très rapidement les projections
techniques et architecturales ont conduit à prévoir la construction de réservoirs semi-enterrés recouverts de sol végétalisé.
Partant de ce principe constructif, les ingénieurs d’Arcadis ont proposé à la maîtrise d’ouvrage d’utiliser une structure en sol renforcé par géosynthétiques pour couvrir les parties non enterrées autour des réservoirs. Le principe consistant à installer des couches successives de géosynthétiques renforcés haute résistance sur toute la hauteur du remblai afin de reprendre la poussée interne de la structure. Cette idée permettait le réemploi de presque tous les déblais du site sans aucun apport de matériaux extérieurs tout en optimisant les structures de génie civil. Cette solution originale permettait de minimiser le coût de la construction tout en atténuant considérablement l’impact environnemental de la construction.
CONCEPTION ET CONSTRUCTION
Les modélisations géotechniques effectuées sur les logiciels FEM, 2D-Geoslope et 3D Plaxis Foundation recommandaient donc de construire les réservoirs avec une fondation sur dalle sur les secteurs II et III, plus appropriés à recevoir les fondations de ce type de structure. Pour atteindre et maintenir un module de déformation égal à 80 MPa sous les quatre silos et vérifier un tassement différentiel de 0,002 mètre, une plateforme en matériaux granulaires d’une épaisseur comprise entre 0,7 et 1,5 mètre a été installée préalablement. La modélisation numérique a également mis en évidence des variations importantes de pression du remblai sur les parois verticales des silos. Ces variances pouvaient aller jusqu’à 100 %, et étaient principalement dues à la géométrie du corps de remblai et à la variabilité du sol de remblayage. Trois approches alternatives ont été testées
pour réduire et mieux répartir la pression du sol sur les structures verticales des ouvrages béton. Ces
approches prévoyaient :
1. une amélioration de la qualité du matériau de remblai ;
2. la création d’une bague de sol stabilisée par traitement ciment ;
3. l’utilisation d’une structure en sol renforcé par géosynthétiques.
L’étude technico-économique a permis de conclure que cette dernière option était la solution la moins onéreuse, la plus simple techniquement, et la plus réalisable.
En effet, une structure en sol renforcé par géosynthétiques permet d’assurer la stabilité interne de
l’ouvrage par des couches de renforcement mobilisées par le poids propre du sol et des éventuelles
surcharges permanentes. Ce type d’ouvrage induit donc une réduction des déformations et de la
pression sur le sol support. Comparativement à une solution conventionnelle, c’est une technique
particulièrement intéressante sur sols faiblement porteurs.
L’élévation à la verticale de la structure en sol renforcé côté réservoirs amenait une augmentation
graduelle de la déformation horizontale dans chaque couche de géosynthétiques. Cette déformation
nécessaire pour activer le renforcement, un espace de 0,3 mètre entre la paroi béton des silos et le parement de la structure en sol renforcée a été aménagé pour éviter toute pression latérale sur la structure des réservoirs.
Sur le plan économique, ce dispositif constructif a augmenté légèrement le coût du remblai. Mais
cette augmentation a été largement compensée par une réduction de 0,6 mètre de l’épaisseur des
structures verticales en béton armé grâce à l’élimination des pressions latérales extérieures.
Sur le plan technique, la création d’un espace entre le sol et le réservoir a permis de créer une rupture capillaire efficace permettant de drainer les eaux d’infiltration à la base des murs. Enfin, lors des travaux, cet espace a également permis d’éviter la transmission des vibrations de compactage vers les
parois béton autorisant l’exécution simultanée du remblayage et des travaux d’étanchéité des parements intérieurs des silos.
Au total, sur la hauteur, 35 couches de géotextile tissé de haute résistance en polyester ont été installées pour former la structure verticale en sol renforcé autour des 4 silos suivant un calepinage précis.
Le parement final a été réalisé par des coffrages constitués de cages en acier de 3 mètres de longueur, formant un polygone de 76 faces qui épouse parfaitement la géométrie circulaire des
réservoirs. Les interfaces avec les différents ouvrages techniques annexes n’ont pas affecté le fonctionnement de la structure en sol renforcé, mais ont nécessité une exécution précise.
Chaque couche de géotextile formant la structure de renforcement était espacée de 0,6 mètre.
Le remblayage et le compactage ont été réalisés par couches sur des épaisseurs de 0,3 mètre. À chaque niveau, le degré de compactage a été mesuré jusqu’à l’obtention d’un optimum Proctor de 90 %. Le remblayage et le compactage ont été effectués avec les matériaux de déblais du site, en grande majorité avec des matériaux formés de sable fins, sans aucun apport extérieur, après purge des fractions supérieures à 125 millimètres et de quelques blocs d’argile. C’est ainsi qu’environ 300 00 m3 ont été réutilisés immédiatement et, finalement, seuls 20 % des matériaux ont été exclus et évacués du site.
Les pentes extérieures des talus en terre ont été également renforcées par des géogrilles souples
en polyester et installées avec un espacement horizontal compris entre 0,6 ou 1,2 mètre, selon l’inclinaison de la pente. Le remblayage et le compactage ont été menés de façon identique au renforcement de la structure verticale côté réservoirs.
Les pentes de talus supérieur ne nécessitant pas de renforcement horizontal, seul un dispositif de
contrôle de l’érosion tridimensionnel, ancré par des broches en acier, a été installé. Un ensemencement hydraulique a permis de favoriser la végétalisation et d’assurer un contrôle d’érosion efficace à long terme. La construction de la structure en sol renforcé s’est déroulée sur 16 mois, sans aucune interruption.
CONTRÔLE POST-CONSTRUCTION
S’agissant d’une structure techniquement sensible, un plan de surveillance spécifique a été élaboré
pour vérifier la bonne exécution de l’ouvrage pendant la phase de construction, mais aussi pour surveiller son évolution tout au long de sa durée de service et prévenir tout risque de défaillance. Ce
suivi périodique a permis d’améliorer la réalisation du remblai en phase travaux, et les premières
mesures post-construction ont permis d’observer des déformations circonscrites aux limites prévues
lors de la conception. Cette osculation est réalisée par des appareils de mesure spécifiques : sonde
inclinomètre pour mesurer la déformation verticale ; extensomètres pour mesurer la déformation sur le géotextile ; capteurs micrométriques pour surveiller la déformation horizontale du parement
vertical ; surveillance vidéo de l’espace entre le parement renforcé et la structure béton verticale
des réservoirs. Le suivi post-construction est aujourd’hui toujours actif.
L’utilisation des géosynthétiques dans les structures en sol renforcé de ce projet s’est révélée une méthode économique, efficace et sûre, permettant aux ingénieurs structures de réduire l’épaisseur
des structures verticales en béton armé des réservoirs, le réemploi sur site de plus de 80 % des matériaux de déblais et la résolution de problématiques de drainage et d’exécution.
Des économies substantielles de matériaux ont été réalisées, tout en facilitant la logistique d’approvisionnement nécessaire à la réalisation du remblai, sans rien céder aux exigences réglementaires et à la rigueur technique qu’impose ce type de projet, et en limitant son impact environnemental.
Ainsi cet ouvrage géotechnique constitue un cas d’école particulièrement intéressant permettant
d’illustrer concrètement les potentialités d’usage des géosynthétiques, et le suivi post-construction
en cours permettra sans nul doute de conforter la connaissance scientifique et technique du comportement des géosynthétiques sur le long terme. Cet ouvrage est donc un sujet assurément à
suivre !
Nicolas Breyne
Directeur de la prescription
Low & Bonar d’après un article
d’Andrej Trombitas et Dave Wood