VOTRE RUBRIQUE GÉOTECHNIQUE S'ÉTOFFE D'UNE NOUVELLE THÉMATIQUE - <p>Désordre sur un bâtiment. Fissurations dues à un tassement<br />des fondations.</p>
20/03/2025

VOTRE RUBRIQUE GÉOTECHNIQUE S'ÉTOFFE D'UNE NOUVELLE THÉMATIQUE


Fissures retrait gonflement argile.
Désordre sur un bâtiment.Agrafage des fissures de la façade.

Nouveauté dans la rubrique « Géotechnique » : une série d’articles sur le RGA qui, en devenant un enjeu de société, est
l’objet de plusieurs initiatives législatives et réglementaires à suivre. Elles auront un effet sur la géotechnique, voire
créeront des opportunités pour les géotechniciens.

Pour ce premier article, tour d’horizon de la prise de conscience et des réactions législatives et réglementaires, constatées à l’automne 2024.

 

LE CONSTAT


Le retrait-gonflement des argiles est maintenant sorti du cercle des spécialistes que sont notamment les géotechniciens, les experts et les assureurs.
Le phénomène alarme, car il prend de l’ampleur, et il suffit pour s’en rendre compte de parcourir une publication récente du Sénat (« L’essentiel régime Cat-Nat »), qui précise que « la proportion de la sinistralité sécheresse est vouée à fortement augmenter à l'avenir. Selon une étude de France Assureurs publié en 2021, l'ensemble de la sinistralité “sécheresse” représenterait 43 Mrds € entre 2020 et 2050, contre 13,8 Mrds € entre 1989 et 2020. La Caisse centrale de réassurances estime
que la sinistralité sécheresse annuelle moyenne à l'horizon 2050 connaîtra une progression comprise entre 60 % et 190 % ».
Le ton est donné et l’on constate que les grands acteurs s’expriment maintenant sur le sujet, sans oublier la Cour des comptes qui complète ce premier tour de table. Dans son rapport public annuel 2024 consacré à l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique, « Adaptation des logements au changement climatique », la Cour rappelle que le RGA est le second poste d’indemnisation des sinistres Cat-Nat après les inondations. Elle précise en 3 mots-clés comment il s’étend : accélération, élargissement (« le […] RGA touche aujourd’hui toutes les régions métropolitaines et plus de la moitié des maisons individuelles, soit 10,4 millions de maisons construites en zone moyennement ou fortement exposée ») et hausse des dommages : « Au plan assurantiel, les années de 2016 à 2020 font partie des onze épisodes les plus coûteux depuis 30 ans, tous sinistres confondus. L’été 2022 a marqué un record, avec un coût estimé entre 2,4 et 2,9 Mrds €. Toutes
les études récentes prévoient une poursuite de cette dynamique et une augmentation forte des coûts des dommages liés au phénomène de retrait-gonflement des sols argileux, au cours des 30 prochaines années ». Un constat sans appel donc, qui ne peut que faire réagir le législateur.

 

LES RÉACTIONS LÉGISLATIVES


En effet, plusieurs initiatives législatives et réglementaires abordent ce sujet, elles sont d’intérêt pour notre domaine. La loi du 28 décembre 2021, dite loi Baudu, et ses textes d’application, a pour objectif d’améliorer la transparence de la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle et
faciliter une indemnisation plus rapide et efficace des sinistrés. Cette loi fait progresser la transparence, et de fait la qualité du lien entre assurés et expertise : durant la gestion des sinistres Cat-Nat par l’assureur, obligation lui est faite de communiquer systématiquement le rapport d’expertise définitif ainsi que le compte-rendu des constatations effectuées lors de chaque visite (ce dernier point pour un sinistre sécheresse). Elle améliore par ailleurs l’indemnisation des sinistrés en intégrant, à compter du 1er janvier 2023, la pris en charge des coûts des études géotechniques ainsi que les frais d’architecte et de maîtrise d’oeuvre associés à la remise en état des désordres consécutifs aux effets d’une catastrophe naturelle, dès lors que ces frais sont rendus « obligatoires » (terme remplacé par « nécessaires » depuis le 1er janvier 2024, ceci par l’ordonnance du 8 février 2023).
La loi Baudu introduit également l’ordonnance du 8 février 2023, qui, en plus d’adapter les « conditions d’éligibilité au régime des catastrophes naturelles aux spécificités du phénomène de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse ou à la réhydratation des sols », crée des obligations
intéressantes pour les géotechniciens. L’ordonnance crée ainsi des obligations assorties de sanctions pour les experts qui seront missionnés par les assureurs. Le détail de ces obligations sera précisé par un décret en Conseil d’État (contenu du rapport d’expertise, modalité et délais d’élaboration
de l’expertise…) à paraître courant 2024 pour une entrée en vigueur
au plus tard pour le 1er janvier 2025, et pour lequel les géotechniciens ont été consultés !
Citons pour compléter le décret du 5 février 2024 qui précise également les obligations d’information faites au vendeur d’un bien sinistré à l’acquéreur sur les travaux permettant l’arrêt des désordres existants et non réalisés bien qu’indemnisés ou ouvrant droit à une indemnisation à la suite d’un sinistre sécheresse RGA.
Deux autres initiatives, actuellement au stade de propositions de loi, circulent entre Assemblée nationale et Sénat. La proposition de loi de Sandrine Rousseau, adoptée en avril 2023 à l’Assemblée, y
est revenue en juillet 2024 après avoir été rejetée par le Sénat. En voici les points-clés à travers d’ailleurs l’analyse faite par le Sénat : les « dommages constatés à la suite de la déclaration de l'état de catastrophe naturelle sont présumés avoir pour cause déterminante le RGA ». Le Sénat indique que le délai moyen des expertises passerait de 1 à 3 ans, situation insoutenable pour les sinistrés ; la « prise en charge systématique par les compagnies d'assurance des honoraires de contre-expertises demandées par les assurés » aurait pour conséquence une très forte augmentation des honoraires d'expertise (l'assuré n'ayant aucun reste à charge), et un désengagement des assureurs sur le secteur des catastrophes naturelles ; les compagnies d'assurances de « choisir un expert inscrit sur une liste tenue par une juridiction administrative » emporterait une forte diminution du vivier des experts spécialisés dans le risque « sécheresse ».
Cette proposition de loi contenait également un recours systématique à des expertises de type G5, inclus dans la prise en charge par la compagnie d’assurance. Ce point a subi le même rejet par la commission des finances du Sénat.
Ce n’est cependant par perdu : le Sénat prépare depuis mai 2024 une proposition à l’objectif, plus large, d’équilibre du régime Cat-Nat. Cette proposition traduit pour l’instant 9 des recommandations du rapport d’information présenté en mai 2024 par la sénatrice Christine Lavarde sur le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.
La recommandation n° 9 est d’importance pour la communauté géotechnique ; elle demande de renforcer les règles de construction en zones exposées au phénomène de RGA et cible la loi Elan. L’argumentaire développé en regard des dispositions constructives est imparable : « Alors que ces règles constituent une dimension absolument déterminante pour immuniser les nouvelles
constructions, il apparaît aujourd’hui qu’elles sont manifestement insuffisantes.
La direction générale du Trésor a notamment révélé au rapporteur que de premières maisons construites selon les normes prévues par la loi Elan commencent déjà à se fissurer. » Tout est dit, ou presque… et les géotechniciens seront entendus pour exprimer leur avis sur ce sujet.
À l’été 2024, la proposition de loi déposée par la sénatrice présente 3 articles
intéressants pour la communauté géotechnique ; l’article 4 renforce les garanties d’indépendance demandées aux experts d’assurance spécialisés dans les catastrophes naturelles en imposant l’interdiction de la rémunération des experts en fonction du résultat et de liens capitalistiques entre l’assureur et la société d’experts.
Une mesure sur la prévention (article 6) propose de diminuer la franchise payée par les particuliers en cas d’adoption par ceux-ci de mesures de prévention.
Une mesure sur l’expérimentation des dispositifs de préventions (article 9) envisage d’étendre le fonds Barnier au financement d’études et de dispositifs expérimentaux.
Pour être complet dans cet inventaire et illustrer mieux encore l’intérêt suscité par le RGA, il convient de citer la mission confiée au député Vincent Ledoux au printemps 2023, qui ciblait l’amélioration du traitement de la sécheresse RGA (transparence de l’instruction, promotion de la prévention) et qui a abouti au rapport « RGA : n’attendons pas que ce soit la cata ! », publié en octobre de la
même année et pour lequel les géotechniciens ont été auditionnés. La mission interministérielle dite mission Langreney a quant à elle travaillé sur l’assurabilité des risques climatiques au regard des enjeux posés par le dérèglement climatique. Quelles suites à tout cela ? Un prochain
article reviendra sur le sort réservé aux deux propositions de loi actuellement en discussion et esquissera leur mise en oeuvre qui impactera d’une manière ou d’une autre l’activité géotechnique.
À suivre !

 

Francis Bertrand
Délégué général de l'USG