Le nouveau métro du Grand Paris Express comprend sur sa ligne 16 deux gares, Clichy-Montfermeil et Chelles, qui ont
la particularité d’être en forme de bilobe. Un choix architectural audacieux ? Oui et non, puisque pour le groupement de maîtrise d’oeuvre, Egis-Tractebel, il s’agit avant tout de mettre à profit tous les avantages de cette forme originale dans la conception et la réalisation du génie civil dans un environnement particulièrement complexe.
La future ligne 16 du Grand Paris Express traversera les départements de Seine-Saint-Denis et de Seine-et-Marne, au nord-est de la capitale, et desservira 10 gares sur 29 km de longueur. Parmi
ces gares, celles de Chelles et Clichy- Montfermeil se caractérisent par une forme originale en bilobe. Une géométrie qui présente plusieurs avantages, aussi bien structurels qu’économiques, dont les ingénieurs d’Egis ont su tirer parti dans leur mission de maîtrise d’oeuvre globale du génie civil. Une mission qui débute avec les études de conception (de type G2 selon la norme NF P 94-500) de la phase avant-projet (AVP) à projet (PRO), puis l’établissement du dossier de consultation des entreprises (DCE) et l’assistance à l’établissement des contrats de travaux (ACT), et enfin la supervision géotechnique d’exécution (G4). Sur de tels projets, Egis déploie toutes ses compétences, en géotechnique notamment.
UNE CONCEPTION EN BILOBE
Alors que la plupart des gares sont conçues selon une forme rectangulaire, Egis a proposé une forme circulaire en bilobe de 33 m et 41,3 m de diamètre intérieur pour la gare de Clichy- Montfermei,l ainsi que 35 m et 38,9 m pour la gare de Chelles. Les deux lobes se rejoignent en deux « points » durs d’un point de vue structurel où se concentrent les efforts, les panneaux en forme de Y. Dans ce cadre, les soutènements constitués de parois moulées ont été dimensionnés pour répondre aux sollicitations du sol, de l’eau, mais aussi des voies ferrées du tramway T4 et des lignes à grande vitesse (situées à 20 m respectivement des gares de Clichy-Montfermeil et de Chelles) qui font partie des avoisinants les plus critiques. Mais ce choix de conception en bilobe a surtout plusieurs avantages, car, outre
l’optimisation de l’emprise au sol de la gare dans des zones d’emprise limitée et la tenue structurelle de l’ouvrage lors des travaux, c’est aussi l’intérêt économique qui a fait mouche.
UN GAIN ÉCONOMIQUE ET ENVIRONNEMENTAL
« Cette conception circulaire nous permet de limiter l’impact carbone du projet, explique Alexandre Giroux, chef de projet chez Egis. Un plus pour nous, alors même qu’en 2016, cet aspect ne figurait pas dans le cahier des charges. » De la même manière, un ouvrage circulaire va réduire l’emprise et de fait, la quantité de matériaux utilisés (le béton armé). Mais cette géométrie particulière a aussi l’avantage de présenter une stabilité structurelle naturelle, ce qui conduit à réduire de façon significative le nombre de butons métalliques. « La structure en bilobe est autostable, reprend l’ingénieur. Il y a un effet voûte qui se crée dans les paroismoulées, comme par analogie avec un tunnel vertical rigide. » En s’affranchissant des habituels et nombreux butons (tous les 8 m environ, sur deux ou trois niveaux, au fur et à mesure de la descente de fouille), c’est d’abord un gain de temps pour la phase d’excavation. Cette phase ainsi que celle de la réalisation des dalles sont largement facilitées et donc plus rapides ; cette forme réduite et plus rigide limite également les déplacements des soutènements et leur impact sur les avoisinants.
MINIMISER LES TASSEMENTS ET MAÎTRISER L’IMPACT SUR LES AVOISINANTS
Si ce choix architectural reste avantageux sur plusieurs aspects, les critères et contraintes géotechniques ne permettent pas toujours d’y accéder. « Ce sont des conceptions à haute valeur ajoutée en ingénierie géotechnique », souligne Alexandre Giroux. La complexité des enjeux géotechniques est de taille, notamment en matière de maîtrise des déplacements et de l’impact sur les avoisinants. En effet, les parois de soutènement se déforment horizontalement sous l’effet de la poussée du sol et de l’eau et peuvent alors conduire à des déplacements verticaux à l’arrière, sur
des distances pouvant atteindre jusqu’à 30 à 50 m en fonction de la profondeur de fouille. « En milieu urbain, c’est souvent le respect des critères de déplacement qui dimensionne les soutènements. C’est pourquoi il est important de les évaluer de façon précise au stade des études de projet et de les contrôler par un monitoring complet en phase travaux afi n d’adapter les méthodes constructives le cas échéant », explique Sébastien Reynaud, directeur technique géotechnique d’Egis et spécialiste des
problématiques d’avoisinants.
COMPLEXITÉ ET PARTICULARITÉS DE LA CONCEPTION
Dans les particularités d’exécution liées à cette conception, le forage est réalisé à l’hydrohaveuse pour respecter une déviation de forage de 0,5 % et des injections de prétraitement des parois moulées sont effectuées afi n de maîtriser les pertes de boue dans un contexte géologique gypseux. Les parois moulées de 1,2 m d’épaisseur descendent jusqu’à 65 m pour Chelles et 45 m pour Clichy-Montfermeil, pour une profondeur de radier de 30 m environ par rapport au terrain naturel, de quoi obtenir la fi che mécanique et hydraulique nécessaire à la stabilité du fond de fouille et du soutènement en phase travaux. Comme évoqué précédemment, l’une des particularités de ce soutènement est la forte rigidité cylindrique de la structure. « C’est là où l’ingénierie apporte sa valeur ajoutée, relève Alexandre Giroux. Ici, l’effort orthoradial va agir au niveau de la jonction des bilobes. Pour la reprise de cet effort, on distingue deux parties : au-dessus du fond de fouille, on va soit réaliser des éléments de dalle, soit poser des butons métalliques provisoires qui permettront le transfert de l’effort orthoradial entre les deux bilobes. Au-dessous du fond de fouille, on prévoit un refend transversal en paroi moulée qui va permettre de transférer cet effort aux deux panneaux, en forme d’Y. » Lors de ces calculs, les
ingénieurs d’Egis vont s’appuyer sur la vérifi cation 3D pour affiner les études.
L’INTÉRÊT D’UNE MODÉLISATION 3D
Les calculs de prédimensionnement aux coefficients de réaction avec un modèle 2D ne permettront pas l’évaluation précise des efforts pour cette géométrie particulière. Pour cela, Egis a réalisé des
modèles numériques 3D aux éléments finis (modèle global sol et structure) avec une loi de comportement du sol non linéaire de type HSM (Hardening Soil Model). Ces modèles vont contribuer
à affiner l’étude de conception du soutènement et notamment, des panneaux de jonction en Y(1) ainsi que la prise en compte des ouvertures d’entrée et sortie du tunnelier. « L’intérêt de ces modèles 3D réside également dans l’estimation des effets sur les avoisinants comme les tassements au droit des
voies ferrées, plus particulièrement, lors de la phase délicate du terrassement ou du passage du tunnelier », reprend Alexandre Giroux. Lors de cette phase critique qu’est l’excavation de la fouille,
il est important de maîtriser les déplacements du sol et donc des soutènements.
RESPECTER LES CRITÈRES
Pour certains bâtiments sensibles, dont les ouvrages ferroviaires, les seuils de dommage sont particulièrement sévères au sens de la vulnérabilité. Ces modèles numériques avancés, qui ont été préalablement calibrés sur des résultats d’investigations géotechniques, permettent d’être plus précis pour l’évaluation des déplacements au regard des seuils de dommages. « Grâce à ces modèles 3D
complexes, nous ajustons les mesures de renforcement de la structure afi n de
vérifier que les critères de dommages sont respectés, comme ici l’adoption d’une géométrie circulaire, le calage de la rigidité des éléments au niveau de la jonction des bilobes mais aussi le calage
de l’épaisseur des parois moulées », explique Sébastien Reynaud. En phase travaux, un dispositif d’auscultation des parois moulées est mis en place afi n de vérifier la déformation par rapport aux
prévisions des calculs, ainsi que des capteurs qui vont mesurer les tassements du terrain suivant les seuils définis par la présence des voies ferrées. « Il faut avoir maîtrisé la conception pour qu’en phase d’exécution les déplacements soient réellement inférieurs aux critères fixés, même si des mesures correctives peuvent être mises en oeuvre », poursuit le directeur technique.
LA GARE DE CHELLES
À chaque gare son contexte et ses contraintes. Pour Chelles, les équipes ont dû composer avec une charge d’eau importante, de l’ordre de 30 m, imposant ainsi d’approfondir les fondations. « Des calculs hydrogéologiques complexes ont été réalisés, explique Alexandre Giroux, de manière à estimer précisément les débits en fonction de la hauteur de nappe rabattue. Les parois moulées descendent ici à 65 m de profondeur afin de s’ancrer dans un horizon peu perméable. Cette profondeur permet ainsi de maîtriser les débits d’arrivée d’eau en fond de fouille, le cône de rabattement et en même temps, de
limiter le tassement du sol sous les voies ferrées. » Ici, les contraintes liées à la présence d’avoisinants sont fortes ; c’est donc un phasage d’exécution en « top and down » qui a été retenu. « Les structures et planchers du génie civil, réalisés en continuité de l’excavation de la fouille, confèrent à l’ouvrage une meilleure rigidité qui va limiter les déformations du terrain », précise encore l’ingénieur.
Quant au creusement du tunnel (diamètre 9,8 m), le tunnelier traversera la gare en boîte pleine, sans contraintes de préparation d’entrée ni de sortie, et à vitesse constante. Les travaux de paroi moulée, démarrés en novembre 2021, ont été exécutés en deux phases pour tenir compte de la déviation/du rétablissement d’un boulevard traversant le chantier et se sont achevés en avril 2023.
LA GARE DE CLICHY MONTFERMEIL
Pour la gare de Clichy-Montfermeil, l’excavation de la fouille a été réalisée à ciel ouvert jusqu’en fond de fouille, et les structures de plancher (4 niveaux) réalisées au fur et à mesure en remontant.
Le tunnel traverse la gare à ciel ouvert, sans la nécessité de traitement du sol en entrée et sortie de la gare, ces dernières étant situées au niveau des marnes de Pantin et d’Argenteuil. La contrainte
majeure se trouve au niveau du radier par la présence des marnes gonflantes d’Argenteuil, des argiles soumises au phénomène de détente qui vont gonfler sous l’effet d’un changement de l’état de
contraintes et de la pression d’eau. « La particularité de cette gare réside dans le radier qui a été conçu pour reprendre les poussées de gonfl ement des argiles(2) explique Sébastien Reynaud. Ce sujet complexe a d’ailleurs été mis en évidence à plusieurs reprises sur les chantiers
du Grand Paris. Des études qui ont contribué à la participation d’Egis à la rédaction d’un guide porté par le CFMS qui définira des recommandations sur la prise en compte du gonfl ement des terrains argileux. » Une auscultation a également été effectuée pour suivre le gonflement du sol au fur et à mesure de l’excavation. Les travaux de paroi moulée, démarrés en novembre 2020, ont
pris fin en avril 2021.
720 FICHES VISAS
Dans la phase réalisation, le groupement Egis-Tractebel assure, en tant que titulaire du marché de maîtrise d’oeuvre du génie civil, les supervisions de l’étude (visa) et du suivi géotechnique
d’exécution (mission G4) et en particulier des soutènements pour les équipes géotechniques. « Pour chaque gare, nous avons produit 720 fi ches qui portent sur 290 documents d’études d’exécution réalisés dans le cadre de la mission G3 », indique Alexandre Giroux. Ces chiffres impressionnants
correspondent aux documents fournis par les entreprises dans le cadre de leurs marchés de travaux qui ont ellesmêmes réalisé les études de détail, dites études d’exécution, et le suivi des travaux
: études de méthodes, procédures d’exécution, note de calcul, plans. La part de ces plans représente environ 54 % du visa (dont la moitié sont des plans de ferraillage), 27 % des notes de calculs et les 19 % restants, des documents travaux. « Ces différentes études, analyses et procédures permettent une
conception et une réalisation complète des deux gares, depuis nos études d’avant-projet, puis de projet jusqu’aux études d’exécution et nos missions de visa », conclut Alexandre Giroux. Des
études et analyses poussées à l’image de la complexité des ouvrages.
Veronica Velez
1 Ce sujet fera l’objet d’une communication lors du prochain salon de l’Aftes 2023 : Calcul des panneaux Y des gares bilobes (Cas de la gare de Chelles – GPE ligne 16), S. EL ALAMI et al.
2. Ce sujet fera l’objet d’une communication lors du prochain salon de l’Aftes 2023 : Dimensionnement d’un radier profond sur sol gonfl ant – cas pratique sur une gare du Grand Paris Express, J. PALISSE et al.