Dans le cadre du projet du Grand Paris Express (GPE), la ligne 18 constitue un maillon essentiel du développement des transports pour assurer la jonction entre l’aéroport d’Orly et le pôle multimodal de Versailles Chantiers.
Cette ligne est décomposée en 3 tronçons successifs (ou lots 1 à 3) : Le 1er chemine entre Orly et Palaiseau en souterrain ; le 2e est celui de Palaiseau, sinuant le long de Saclay, de la RN118 et de la RD36 vers Guyancourt en aérien, pour fi nir jusqu’à Versailles Chantiers en un 3e tronçon souterrain. Les 2 premiers tronçons sont actuellement en travaux pour les lots de génie civil (lots 1 et 2), le 3e est en cours d’étude de niveau PRO.
Le 1er tronçon, dit « tronçon souterrain » ou encore « lot 1 », représente 11,8 km environ de tunnel qui rencontre 3 gares souterraines et 14 ouvrages annexes d’accès des secours. Le tunnel traverse 2 horizons géologiques distincts entre le plateau d’Orly et la montée vers le plateau de Saclay. Le bâti en surface oscille entre des zones de faible densité urbaines aux alentours d’Orly, et des zones de densité forte dans le secteur de Massy.
Un des points caractéristiques de cette ligne est le franchissement, par le tunnel, sur près de 1,5 km, du faisceau des lignes ferroviaires existantes de Massy-Palaiseau avec la gare GPE de la L18 de Massy-Palaiseau implantée au centre du faisceau.
Dans ce secteur, la ligne rencontre une structure existante particulièrement sensible qui a nécessité des attentions spécifi ques en étude et travaux : la passerelle historique de la gare de Massy-Palaiseau.
LES ACTEURS PRINCIPAUX
La Société du Grand Paris (SGP), maître d’ouvrage, assistée de Link 18 et Lineov, ses AMO successifs, ont mandaté comme maître d’œuvre infrastructure le groupement Icare (Ingerop mandataire avec Artelia et Arcadis en ingénierie, A/2/3/4/, Richez associés, DFA, Vezzoni et JFS en Architectes) et Vinci Construction France comme entreprise titulaire du lot 1 de génie civil en groupement avec Spie Batignolles.
Les partenaires tiers associés sur le sujet sont la SNCF réseau (mission de sécurité ferroviaire ou MSF), le Cerema et Bureau Veritas pour les assistances techniques au maître d’ouvrage.
CONTEXTE
LE SECTEUR DE LA GARE DE MASSY-PALAISEAU
Le secteur de Massy-Palaiseau est un secteur en plein développement, que ce soit au niveau du nœud ferroviaire accueillant les voies C et A du RER et de la LGV Atlantique, mais aussi par le biais du dynamisme de la ville de Massy et de ses deux quartiers, Vilmorin et Atlantis. Les programmes immobiliers se multiplient et la perspective de développement de l’offre de transport intensifi e le phénomène, que ce soit du fait de l’arrivée du GPE L18 ou du tramway T12 notamment.
Actuellement, 2 jonctions inter-quartiers assurent le franchissement de cet îlot ferroviaire :
DESCRIPTION DE LA PASSERELLE
La passerelle historique est un ouvrage en béton armé, construite en 1936, franchissant sur 122 m environ le faisceau ferroviaire de Massy-Palaiseau pour assurer une jonction entre les deux quartiers. Elle comporte 3 travées de type bow-string, de portée 40,5 m environ chacune.
Après des recherches et échanges avec SNCF MSF, le recueil des donnés a fait apparaître que tous les plans et notes d’exécution de la passerelle n’étaient pas disponibles ou connus.
Il a cependant été possible de disposer de quelques éléments importants, comme l’illustre le montage suivant :
Les deux appuis intermédiaires P1 et P2 sont fondés sur 3 pieux de type Franki type E (Ø = 500mm) avec un entraxe de 1,2 m.
Les appuis de la passerelle historique interfèrent avec la construction de la gare et le passage du tunnel dans l’axe des voies franchies.
PROPRIÉTÉ ET EXPLOITATION
La passerelle franchit le domaine ferroviaire SNCF (RER C, LGV Atlantique, et voies de stockage et maintenance) et RATP (RER B, et voies de stockage et maintenance) qui se partagent la propriété de la structure.
PROBLÉMATIQUE
La future gare du GPE de Massy-Palaiseau est implantée à proximité immédiate de la passerelle historique. Elle comprend la réalisation d’une «boîte» en parois moulées et le passage d’un tunnelier entre deux appuis de la passerelle.
La problématique majeure autour de cette passerelle est l’occurrence de tassements autour des appuis du fait de la réalisation des travaux de génie civil (boîte et tunnel).
Au démarrage des études, compte tenu du manque de connaissance exhaustive et de disponibilité de documents relatifs à la structure, ainsi que de son âge et son état, la SNCF MSF a préconisé une limite admissible de tassement d’un appui de la passerelle à 2 mm.
Parmi les données essentielles, et malgré des investigations complémentaires in situ menées sur la structure, il n’a pas été permis de déterminer avec précision le schéma statique au niveau de l’appui P2 laissant apparaître la possibilité d’une continuité de la travée sur appuis, voire un encastrement. Dans cette hypothèse de schéma statique, un tassement différentiel de l’appui P1 générerait au niveau de l’appui P2 une redistribution des efforts dans le tablier potentiellement non acceptable pour la structure. Il s’est donc révélé nécessaire de chercher des solutions de confortement de la structure afin de permettre la réalisation de la gare et le passage du tunnelier.
SOLUTIONS ABORDÉES LORS DE LA PHASE DE CONCEPTION
ESTIMATION DES DÉFORMATIONS
La première étape de recherche de solutions a consisté à établir un diagnostic des contraintes. Le maître d’œuvre a procédé à une évaluation précise des tassements qui seraient induits par la réalisation de la gare et du passage du tunnelier.
Ce dernier a mené des calculs par le biais de modélisations numériques (logiciel Plaxis, notamment) du sol en place selon ses caractéristiques connues et des ouvrages à réaliser (boîte gare et tunnel). Les horizons géologiques rencontrés sont les suivants par ordre des moins profonds aux plus profonds:
L’évaluation des tassements induits par le creusement du tunnel a été faite avec des valeurs de pression de confinement au front du tunnelier en fourchette afin de disposer du spectre possible couvrant les méthodes d’exécutions qui seront envisagées par les entreprises.
Cela a permis de bâtir une cartographie localisée des tassements pour disposer de valeurs au droit des appuis de la passerelle historique.
Les calculs ont fait apparaître une évaluation des tassements donnant des ordres de grandeur proche de 17 mm au niveau de l’appui P1 et quasi nuls au niveau des autres appuis.
Cette valeur a été retenue pour la suite des études, notamment du fait qu’elle est supérieure au premier seuil de tassement admissible indiqué par SNCF MSF de 2 mm.
La conclusion de cette première partie d’étude a montré que la réalisation de la gare et du tunnel était susceptible d’induire des déformations que la structure, dans son état actuel, ne pourrait supporter sans la mise en place d’un dispositif de confortement à définir nécessitant d’autres calculs.
MODÉLISATION DE LA PASSERELLE
La seconde action menée par le maître d’œuvre a été de procéder à une modélisation de la structure afin de disposer d’une évaluation de sa robustesse et d’éventuelles réserves de capacité (charge et déformation) disponibles de manière temporaire et/ou définitive.
L’objectif étant de démontrer que la structure, dans son état, est capable de supporter un tassement d’au moins 10 mm au niveau de l’appui P1, définissant ainsi un seuil de tassement mesurable par les outils usuels des géomètres.
Le résultat est, certes, toujours insuffisant pour les 17 mm de tassement évalués par le premier calcul. Cela permet toutefois de concevoir une structure de reprise de la pile P1 avec mise en place de solution de vérinage de compensation.
Ce vérinage serait mis en œuvre lorsque les mesures instantanées de déformation de la structure approcheraient ce seuil. Cette solution assure par ce biais la réalisation des travaux.
Le raisonnement du maître d’œuvre consiste à mener des calculs «résistance de matériaux» dits RDM dans différentes configurations de charge et déformation, puis de comparer les états de contraintes donnés par le modèle.
L’analyse des écarts permet alors de faire apparaître, s’il y en a, les réserves de capacité, s’agissant toutefois de bâtir un modèle suffisamment proche de la réalité pour que les résultats soient exploitables et tout en restant avec une base d’hypothèses sécuritaires.
Afin que le risque soit maîtrisé, et compte tenu du manque de données exhaustives sur la structure, il faut faire des hypothèses pessimistes par sécurité, mais suffisamment réalistes toutefois afin de ne pas aboutir à un résultat dont l’exploitation serait trop délicate.
Dans le cas de la modélisation de la passerelle, les principales hypothèses prises par le maître d’œuvre sont au niveau:
Parmi les pistes de réserve de capacité de charge identifiées, le maître d’œuvre a analysé les surcharges piétonnes et climatiques en les comparant à un cas de charge fictif de tassement de l’appui P1.
L’objectif de la démarche était de démontrer que la réserve de capacité de déformation/charge de la structure permet d’absorber 10 mm de tassement différentiel afin d’assouplir la contrainte fixée par SNCF MSF. En parallèle, le maître d’œuvre a conçu un dispositif de confortement de la pile P1 par réalisation d’une structure additionnelle accrochée à la structure existante et permettant la réalisation d’un vérinage de compensation de l’appui en cas de tassement constaté.
ÉCHANGE AVEC LE CEREMA, SNCF MSF
Compte tenu des enjeux, les calculs du maître d’œuvre ont soumis pour expertise dans le cadre d‘un second au Cerema missionné par la SGP.
Les échanges ont convergé sur:
Le troisième item a abouti sur la conception d’une structure de renfort de l’appui P1 fondée solidement et profondément afin de limiter les effets induits par la réalisation de la boîte gare et du tunnel GPE de la L18. Ceci permettant de limiter le recours à un vérinage de compensation, uniquement en concomitance avec un éventuel cas accidentel de tassement de l’appui P1 conforté.
Cette disposition a apporté de la robustesse à la solution technique permettant d’obtenir un accord avec SNCF MSF sur un nouveau seuil de tassement fixé dans les DCE à 5 mm – valeur compatible avec des appareils de mesures adaptés.
SOLUTIONS DE MISES EN ŒUVRE POUR LA PHASE DE RÉALISATION.
Les échanges se sont poursuivis en phase d’exécution avec l’entreprise titulaire, le maître d’œuvre et SNCF MSF afin d’évaluer la nécessité d’une intervention préalable de sciage sur la pile P1 nécessaire au transfert de charge immédiat sur les vérins de la structure de renfort.
En effet, le risque ayant été maîtrisé au niveau des tassements avec la solution conçue, et confirmé par les calculs d’exécution de l’entreprise, le recours au vérinage de compensation ne devient nécessaire qu’en cas accidentel.
Or, une intervention de mise en place préalable du tablier sur les vérins de la structure de renfort implique un sciage de la tête de pile existante de P1 pour transfert de charge sur les vérins mis en place sur la structure de renfort.
Cette intervention peut «fragiliser» dans une certaine mesure la structure existante ; les intervenants ont donc cherché des solutions pour s’en affranchir sans obérer le déroulement des travaux.
La conclusion, après analyse du faisceau de contraintes et analyse de risque, a fait converger le choix de la solution d’une désolidarisation préalable du fût existant de la pile P1 pour un transfert de charge sur la structure de renfort, le risque étant sécuritairement maîtrisé. La solution retenue est décrite en détail dans la note de calcul d’exécution selon l’extrait suivant:
«La pile P1 existante repose sur des pieux de diamètres 400 mm dont la profondeur estimée est de 6 à 7 m selon la note descriptive du confortement de P1 - NTE 003769. La nouvelle pile P1 aura pour rôle de conforter la pile P1 existante et limiter le tassement de la passerelle lors de la réalisation des travaux de la nouvelle gare de MassyPalaiseau dont le tympan Sud-Ouest se trouve au droit de la pile P1 de la passerelle.
Des consoles en béton armé sont brêlées de part et d'autre du chevêtre de la pile existante via des barres précontraintes. Ces nouvelles consoles sont mises en place sur des vérins de part et d'autre des appareils d'appuis. Les vérins ont pour rôle de remettre à niveau la passerelle en cas de dépassement du seuil de tassement fixe par la SNCF. En phase définitive, les appareils d'appuis seront déposés et les corbeaux seront clavés sur les bossages des appareils d'appuis.
Deux chevêtres de part et d'autre de la pile existante accueille les vérins/ appareils d'appuis.
Deux fûts circulaires sous chaque chevêtre ont pour rôle de transmettre les descentes de charges vers les fondations.
La pile Pl est fondée sur des semelles munies de 2 barrettes de 0,82x2,80 et 30 m de profondeur. Une étude Plaxis est menée pour l'étude entre autres des barrettes. Conformément à la demande de la MSF, la pile P1 existante sera sciée une fois la nouvelle plie construite et liaisonnée par précontrainte à la première.»
LES TRAVAUX EN COURS…
Les travaux ont été réalisés avec succès, l’appui P1 est actuellement renforcé par la structure telle que conçue. Le sciage de l’appui existant P1 et le transfert de charge vers le nouvel appui ont été effectué la nuit du 21 au 22 mai sous interruption de circulation ferroviaire. Les parois de la gare ont été réalisées et l’excavation est en cours.
Tout n’est cependant pas encore terminé : il reste notamment le passage du tunnelier à venir et les effets long terme de déformation du terrain à suivre.
Toutes les équipes restent vigilantes ; la passerelle fait l’objet d’une surveillance permanente afi n de poursuivre le chemin de la réussite du projet tel qu’il a été pris depuis le démarrage des études. L’histoire de cette passerelle ne sera pas bouclée avec l’achèvement des travaux GPE. En effet, le site verra encore d’autres projets à venir qui devront poursuivre la réfl exion sur le devenir de cet ouvrage et tenir compte de son grand âge avec ce que cela implique.
Éric Auriaux
Responsable du pôle Souterrain Ingerop – mandataire du groupement
Icare