Publiée au Journal officiel du 24 novembre 2018, la loi sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique,
dite loi ELAN, avait pour but de « faciliter la démarche de construction tout en responsabilisant les acteurs sur les objectifs à atteindre, pour construire et rénover davantage de bâtiments et renforcer le modèle du logement social, favoriser la mobilité dans le parc social et rendre les attributions plus transparentes, lutter contre l’habitat indigne, mais aussi créer
de nouvelles solidarités et réduire la fracture territoriale », comme le décrivait Jacques Mézard, ministre de la Cohésion
des territoires.
Cette loi, dite loi ELAN, recouvre de nombreux sujets au travers de 4 thématiques distinctes :
Son article 68 est consacré à la prévention des risques de mouvement consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols.
La loi stipule notamment que :
Nous avions eu une première occasion d’envisager l’impact de ce dispositif dans un article publié dans Solscope Mag en juin 2019. Manquaient à l’époque les modalités pratiques : quel zonage s’applique ? Quel contenu pour ces études ?
Deux décrets d’application sont depuis venus compléter le dispositif en 2020.
Nous aborderons ainsi successivement :
1. le contenu des décrets,
2. les obligations mises à charge des différents acteurs concernés,
3. les impacts relatifs à la pratique de l’ingénierie géotechnique.
PRÉAMBULE : QUEL RISQUE ?
Le risque est le produit d’un aléa par un enjeu. Dans notre sujet, l’aléa est le phénomène de retrait gonflement, et l’enjeu est le bien construit.
Jusqu’à présent, les sinistres dits « Cat Nat » étaient pris en charge par le régime d’assurance obligatoire des catastrophes naturelles. Ce régime légal des catastrophes naturelles est encadré
par la loi du 13 juillet 1982. Il intervient si un arrêté interministériel paru au Journal officiel constate l’état de catastrophe naturelle pour l’aléa concerné dans la zone où se trouvent les biens assurés ; et si les biens sont garantis en assurance de dommages, par exemple en incendie ou en dégât des eaux.
Les événements couramment garantis sont les inondations, les coulées de boue, la sécheresse, les avalanches, les tremblements de terre, l’action mécanique des vagues, les glissements et affaissements de terrain (lorsque ces derniers sont la conséquence d’un événement naturel).
Aux termes de la loi, sont considérés comme effets des catastrophes naturelles « les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un
agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises ». (Article L. 125-1 alinéa 3 du Code des
assurances). Les sinistres liés au retrait gonflement des argiles représentent le second poste d’indemnisation (38 %) après les inondations (56 %). Le législateur a donc entrepris de réduire
cette charge. C’est la finalité économique de la loi ELAN.
Les décrets sont venus préciser :
LA CARTE DES ALÉAS
Seules les zones exposées à un aléa moyen et fort sont soumises à la nouvelle réglementation.
Le CCH définit désormais les zones d’exposition : « Les zones d’exposition forte correspondent à des formations essentiellement argileuses, épaisses et continues, où les minéraux argileux gonflants sont largement majoritaires, et dont le comportement géotechnique indique un matériau très sensible au
phénomène. Les zones d’exposition moyenne correspondent à des formations argileuses minces ou discontinues, présentant un terme argileux non prédominant, où les minéraux argileux gonflants sont en proportion équilibrée, et dont le comportement géotechnique indique un matériau moyennement sensible au phénomène. »
La métropole française est donc très exposée : 48 % de sa surface est située dans une zone considérée comme soumise à un aléa moyen ou fort.
Le détail des zones ainsi que leur niveau d’exposition à l’aléa sont accessibles sur le site Géorisques (www.georisques.gouv.fr).
CONTENU DES ETUDES GÉOTECHNIQUES
La partie la plus attendue de la réglementation a résidé dans le contenu des études. L’arrêté du 22 juillet 2020 publié au Journal officiel le 6 août 2020 définit le contenu des études géotechniques
préalable et de conception :
« L’étude géotechnique préalable mentionnée à l’article R. 112-6 du Code de la construction et de l’habitation permet une première identification des risques géotechniques d’un site. Elle doit fournir
un modèle géologique préliminaire et les principales caractéristiques géotechniques du site, ainsi que les principes généraux de construction pour se prémunir du risque de mouvement de terrain différentiel consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols.
Cette étude préalable comporte une enquête documentaire sur le cadre géotechnique du site, et l’existence d’avoisinants avec visite du site et des alentours.
Elle est complétée, si besoin, par un programme d’investigations spécifiques visant à établir les connaissances géologiques et géotechniques permettant de réduire, autant que possible, les incertitudes et risques géotechniques liés au phénomène de retrait-gonflement des argiles, sans préjudice des autres aléas géotechniques pouvant exister au droit du projet. Une étude géotechnique
préalable de type G1 (phase étude de site et phase principes généraux de construction) réalisée conformément aux exigences de la norme NF P 94-500 de novembre 2013 vaut présomption de conformité aux dispositions du présent article. »
« L’étude géotechnique de conception prenant en compte l’implantation et les caractéristiques du bâtiment, mentionnée à l’article R. 112-7 du Code de la construction et de l’habitation, a pour objet de fixer les prescriptions constructives adaptées à la nature du sol et au projet de construction, en
tenant compte des recommandations énoncées lors de l’étude géotechnique préalable et en réduisant au mieux les risques géotechniques identifiés et jugés importants, en particulier le risque de mouvement de terrain différentiel consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols. Elle s’appuie sur des données géotechniques pertinentes, si besoin après la réalisation d’un programme
spécifique d’investigations géotechniques. Elle fournit un dossier de synthèse définissant techniquement les dispositions constructives à mettre en oeuvre. Une étude géotechnique de conception de type G2 (phase avant projet et phase projet) réalisée conformément aux exigences de la norme NF P 94-500 de novembre 2013 vaut présomption de conformité aux dispositions du présent article. »
DISPOSITIONS FORFAITAIRES ALTERNATIVES
La réglementation donne aux constructeurs une alternative à l’étude géotechnique de conception (mais pas à l’étude géotechnique préalable !). Les constructeurs peuvent recourir à des dispositions
constructives forfaitaires ainsi définies :
I. - Les bâtiments en maçonnerie ou en béton sont construits avec une structure rigide. La mise en oeuvre de chaînages horizontaux et verticaux, ainsi que la pose de linteaux au-dessus des ouvertures permet de répondre à cette exigence.
II. - Pour tous les bâtiments :
a) Les déformations des ouvrages sont limitées par la mise en place de fondations renforcées. Elles ont comme caractéristiques d’être :
b) Les variations de teneur en eau du terrain à proximité de l’ouvrage dues aux apports d’eaux pluviales et de ruissellement sont limitées.
Pour cela :
c) Les variations de teneur en eau du terrain à proximité de l’ouvrage causées par l’action de la végétation sont limitées. Pour cela :
d) Lors de la présence d’une source de chaleur importante dans le soussol d’une construction, les échanges thermiques entre le terrain et le sous-sol sont limités. Pour cela, les parois enterrées de la construction sont isolées afin d’éviter d’aggraver la dessiccation du terrain situé dans sa périphérie.
On note que ces dispositions rejoignent les règles dites de Philipponnat qui n’ont pas attendu la loi ELAN pour servir de base à la conception des maisons individuelles.
2. LES OBLIGATIONS MISES À CHARGE DES DIFFÉRENTS ACTEURS CONCERNÉS
Plusieurs acteurs se retrouvent directement ou indirectement impactés par cette nouvelle réglementation.
EN AMONT DE LA VENTE : L’ÉTUDE GÉOTECHNIQUE PRÉALABLE, VALEUR AJOUTÉE AU CONTRAT DE VENTE
En amont de la vente, on peut identifier : le vendeur l’acquéreur, le notaire, l’aménageur.
Deux sont réputés profanes, deux sont professionnels. Ces derniers vont devoir s’organiser, du fait de la récurrence avec laquelle ils vont nécessairement être confrontés à cette obligation légale :
comprendre la réglementation, trouver des partenaires spécialisés et compétents, notamment
géotechniciens.
S’agissant de la relation vendeur/acquéreur, il est utile de se rappeler, que, a contrario des diagnostics immobiliers obligatoires déjà en vigueur, l’étude géotechnique préalable s’inscrit dans une optique opérationnelle : une maison doit être bâtie.
Jusqu’à présent l’acquéreur était soumis à un aléa très élevé dans la mesure où il ne pouvait découvrir la nature géotechnique de son acquisition qu’après signature.
C’est pourtant l’un des postes majeurs de surcoût d’une opération de construction, quelle qu’elle soit.
L’étude géotechnique préalable est un élément de sécurisation de la vente. Sa qualité, la pertinence de ses prescriptions participe de la maîtrise du coût global de l’opération d’achat du futur acquéreur.
On voit aujourd’hui circuler des premiers rapports d’« étude géotechnique préalable loi ELAN » qui concluent de manière très sécuritaire : « On pourra retenir une solution superficielle sous réserve de la vérification du potentiel de gonflement des argiles identifiées, ou s’orienter vers des fondations
profondes par pieux ou amélioration de sol. Une solution par radier pourra également être envisagée ». Que fait-on avec un tel rapport ? L’étude géotechnique préalable ne doit donc pas être envisagée comme une charge supplémentaire, mais comme une valeur ajoutée à la vente.
EN AVAL DE LA VENTE
Une fois la vente effectuée, l’acquéreur, maître d’ouvrage, peut s’adresser soit à un architecte, puis à une entreprise ; soit à un constructeur de maisons individuelles au sens de la loi du 19 décembre
1990. Comme nous l’avons vu, deux choix sont possibles : une étude géotechnique de conception ; un recours aux dispositions constructives forfaitaires.
La question qui se pose naturellement est : que se passera-t-il si, ayant respecté les dispositions forfaitaires, un sinistre « retrait-gonflement » survient quand même ? Rappelons-nous que :
« Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. » Cette responsabilité de plein droit constitue une obligation de résultat des constructeurs à l’égard du maître d’ouvrage. Ces dispositions constructives forfaitaires doivent être considérées comme minima. Les constructeurs ont l’obligation de les compléter
si nécessaire. Le fait de s’appuyer « à l’aveugle » sur les seules conclusions de l’étude géotechnique préalable et de finaliser la conception des ouvrages géotechniques à partir des dispositions forfaitaires
est un risque important (objet de l’étude géotechnique de conception) qui pèsera sur les constructeurs et leurs assureurs de responsabilité décennale.
Rappelons-nous que ces dispositions forfaitaires ne répondent qu’au seul risque lié au retrait-gonflement des argiles. Quid des autres ?
3. LES IMPACTS EN MATIÈRE DE PRATIQUE DE L’INGÉNIERIE GÉOTECHNIQUE
LES INVESTIGATIONS GÉOTECHNIQUES
Les investigations géotechniques sont au géotechnicien ce que le sonar est au pilote de sous-marin : un outil indispensable pour arriver à bon port. Si la réglementation rappelle la nécessité de s’appuyer
sur des données géotechniques pertinentes, on pourrait croire que le « si besoin » permettrait de s’en affranchir. La norme NFP 94500 semble plus affirmative s’agissant des investigations géotechniques à réaliser dans le cadre d’une étude géotechnique principes généraux de construction (G1-PGC) :
§7.3 : « Pour ce faire, elle se base sur des données géotechniques pertinentes issues de la réalisation de prestations d’investigations géotechniques. Sauf cas particulier, cette phase comprend la définition, la réalisation ou le suivi technique et l’exploitation des résultats des investigations géotechniques indispensables pour atteindre les objectifs qui lui sont fixés. »
Le « Sauf cas particulier » suppose donc que l’on justifie l’absence de recours aux investigations géotechniques. On imagine mal une autre raison que l’existence d’anciens sondages exploitables ;
situation peu probable. De même, on pourra s’interroger sur la nature de ces investigations – sondages et/ou laboratoire ? – « visant à établir les connaissances géologiques et géotechniques
permettant de réduire, autant que possible, les incertitudes et risques géotechniques liés au phénomène de retrait-gonflement des argiles ».
S’il est possible de réaliser des essais de laboratoire pour « réduire les incertitudes et risques », il semblerait contraire à l’esprit de la loi que d’y renoncer.
ÉTUDES GÉOTECHNIQUES PRÉALABLES LOI ELAN : DES G1 PARTIELLES ?
On l’a vu ; l’objectif premier de la loi ELAN est de réduire le risque lié au retrait-gonflement des argiles. Ce n’est malheureusement pas le seul risque géotechnique auquel sont soumis les ouvrages en général et les maisons individuelles en particulier. Les obligations introduites par la loi se résument-elles à la seule étude de ce risque ? Autrement dit, une étude géotechnique préalable au sens de l’article L. 121-21 du CCH ne traite-t-elle que du risque « aléa retrait-gonflement » ? Passé le risque
de défaut de conseil qui pèse sur le professionnel du sol qui s’essaierait à cet exercice, nous considérons qu’il ne répondrait pas aux obligations formulées par la loi ELAN. En effet, il importe
de souligner que le texte du décret affirme le contraire : « Réduire autant que possible les incertitudes et risques géotechniques liés au phénomène de retrait-gonflement des argiles, sans préjudice
des autres aléas géotechniques pouvant exister au droit du projet. »
L’étude géotechnique préalable doit donc traiter de l’ensemble des risques géotechniques.
FOCUS SUR LA STRUCTURE
Un raccourci est souvent trop vite faitdès lors que des fissures apparaissent :
c’est un problème de sol. Pourtant, les fissures sont très souvent liées à un défaut d’adaptation sol-structure, et, concernant les maisons individuelles maçonnées, à un déficit structurel, voire
une fondation superficielle sans le renfort d’une longrine.
Tout comme l’ingénierie géotechnique ne fait pas de l’ingénierie structure, le géotechnicien ne remplace pas l’ingénieur structure. Pourtant, dès l’étude géotechnique préalable, le géotechnicien
doit alerter sur les dispositions constructives nécessaires :
rigidification des semelles (compris une longrine) ;
joints de structure ;
vide sanitaire et plancher porté ;
etc.
En conclusion, cette nouvelle réglementation permettra de réduire le coût global de construction du parc neuf. Pour atteindre cet objectif, il sera nécessaire que les études préalables loi ELAN évaluent
effectivement le potentiel de retrait gonflement des sols sur la parcelle ; les constructeurs devront réaliser à une profondeur suffisante des fondations et des structures renforcées, et protéger les
sols de fondation des eaux superficielles.
Alertés par le législateur, les acteurs de la construction des maisons individuelles sont au pied du mur : bien faire et ne pas rechercher des économies, dont les conséquences s’avèrent très lourdes pour notre économie.
Bertrand Mousselon
Ingénieur ETP CREA