Le territoire français est exposé aux risques de mouvements de terrain dont certains sont liés à la dissolution du gypse. Les phénomènes de dissolution se développant dans le sous-sol entraînent une altération des propriétés du massif rocheux. Ces altérations peuvent conduire, à terme, à la formation de cavités et in fine à l’apparition d’effondrements en surface, phénomènes difficilement prévisibles et potentiellement dangereux pour les personnes et les
biens. Afin d’aider les acteurs de la gestion des risques naturels confrontés à la présence de gypse sur leur territoire, l’Ineris a établi un guide* qui fournit les clés de la compréhension des mécanismes hydrauliques, chimiques et mécaniques mis en cause et qui propose des outils
méthodologiques adaptés à la gestion de cette problématique.
Les roches gypseuses peuvent se rencontrer sous des faciès variés en fonction des conditions de formation des minéraux gypseux et de leur histoire géologique. Les formations gypsifères les plus répandues sur le territoire français sont celles d’âge triasique (environ 220 millions d’années). On les retrouve principalement en Bourgogne-Franche-Comté, en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Auvergne-Rhône-Alpes. Ces formations sont localisées principalement au niveau des accidents tectoniques majeurs. Le gypse se trouve également dans les formations datées du Jurassique, de l’Oligocène et de l’Éocène (grands gisements du Bassin parisien).
LA DISSOLUTION DU GYPSE
Le gypse (CaSO4.2H2O) est une roche soluble qui, lorsqu’on l’immerge dans une eau qui n’a jamais été en contact avec ce minéral, voit les éléments chimiques qui la constituent passer en solution sous forme d’ions. Une réaction de dissolution se met alors en place, car l’eau est en état de sous-saturation en ions Ca2+ et SO4 2- par rapport à la quantité de ces deux ions présente dans le gypse (Charmoille et Lecomte, 2011). La dissolution va alors se poursuivre jusqu’à ce que la quantité d’ions Ca2+ et SO4 2- soit en équilibre avec celle du minéral. Les conditions pour atteindre cet équilibre dépendent principalement de la température et de la pression existantes (solubilité de 2,15 à 2,53 g/l entre 0° et 20° à Patm).
Notons toutefois que le taux de dissolution du gypse reste faible (0,03 à 0,05 g/m2/s) par rapport à
d’autres matériaux du même type, tels que le sel gemme, ce qui limite les dimensions des cavités de dissolution liées au gypse au regard de celles observées dans des horizons salifères (Daupley, et al., 2015).
DE LA DISSOLUTION À L’APPARITION DE DÉSORDRES
Pour qu’un vide se crée au sein d’une formation gypseuse par le biais de processus de dissolution, il est nécessaire que le gypse soit en contact avec une eau sous-saturée vis-à-vis de celui-ci, et que l’écoulement de cette eau soit suffisant pour qu’elle se renouvelle régulièrement et n’atteigne pas l’équilibre chimique au contact avec le gypse. Pour des cavités de dissolution, l’eau va donc jouer un rôle très important et interagir dans toutes les phases, depuis la création du vide jusqu’à la remontée du désordre/vide en surface.
CRÉATION DU VIDE PAR DISSOLUTION
Une eau sous-saturée peut être mise en contact avec du gypse dans différents contextes géologiques, des plus simples aux plus complexes. Elle peut se faire, à titre d’exemple, par l’intermédiaire de fractures préexistantes. Dans ce cas, si des discontinuités structurales existent au sein de la formation gypseuse, celles-ci peuvent permettre à une eau sous-saturée d’atteindre le gypse (figure 1 a).
Si l’eau circule au sein de ces discontinuités, le phénomène de dissolution peut se produire, permettant ainsi le développement de vides en périphérie de celles-ci (figure 1 b).
C’est le cas par exemple en région Provence-Alpes-Côte d’Azur et notamment sur les communes de
Draguignan (Var) ou de Prunières (Hautes-Alpes) où des désordres liés à des vides de dissolution ont été identifiés comme ayant pour origine la circulation d’eau par l’intermédiaire d’accidents structuraux (Rivet, et al., 2014 ; Paquette, 1991).
MÉCANISME DE DÉSTABILISATION
Lorsque la cavité est créée par dissolution, sa déstabilisation peut se produire soit en lien avec une dissolution active, soit en lien avec des sollicitations hydrauliques particulières. Dans le premier cas, la tenue mécanique d’un ou plusieurs bancs résistants présents dans les terrains de recouvrement peut autoriser le développement de cavités de dissolution dans la formation gypseuse. Si l’eau circule
de façon pérenne, la dissolution se poursuit, agrandissant la cavité jusqu’à atteindre une taille critique vis-à-vis de sa stabilité mécanique (figure 2 a). Dans le second cas, les modifications brutales des conditions hydrodynamiques d’origine anthropique ou naturelle peuvent contribuer à la déstabilisation d’une cavité préexistante soit par diminution de la pression soit par décolmatage de cavités anciennes naturellement comblées après leur formation (figure 2 b).
PROPAGATION DU VIDE JUSQU’À LA SURFACE
Une fois la cavité créée et le mécanisme de déstabilisation initié, la propagation du vide jusqu’en surface du sol se produit si l’espace disponible au sein de la cavité est suffisant pour que les matériaux éboulés et foisonnés puissent s’y accumuler. Le vide se propage alors verticalement et atteint la surface où il provoque un effondrement localisé. Dans le contexte de dissolution, cette propagation peut être accentuée par l’eau, notamment lorsque, au cours de son ascension, le cône d’influence de la cavité provoque la rupture de l’écran imperméable d’une nappe sus-jacente et la mise en relation de systèmes aquifères (Toulemont, 1981). Une fois que cet horizon est atteint par l’effondrement, des processus d’érosion et de suffosion se mettent en place du fait de la différence de pression entre les aquifères.
Cet écoulement hydraulique va provoquer chronologiquement l’entraînement des matériaux effondrés au sein des cavités sous-jacentes, l’augmentation du volume de vide disponible et la progression verticale du vide (figure 3).
DÉSORDRES ASSOCIÉS
En contexte gypseux, les effondrements observés en surface se caractérisent par des extensions horizontale et verticale d’ordre plurimétriques (photos 1 et 2). Ces dimensions peuvent atteindre une dizaine voire plusieurs dizaines de mètres dans certains contextes géologiques particuliers, notamment lorsque les terrains de recouvrement ont une faible cohésion et que la dissolution est initiée au sein de la masse gypseuse.
Néanmoins, lorsque la dissolution s’opère à l’interface entre la roche soluble et les terrains sus-jacents et que ces derniers possèdent dans leur ensemble des propriétés mécaniques plutôt faibles (absence de banc raide), les conditions pour maintenir ouvertes des cavités franches de grandes dimensions ne sont alors pas réunies. La perte de matière issue de la dissolution est, dans ce cas, directement compensée par l’abaissement des terrains surincombants et provoque dans ce cas des mouvements de type affaissement.
ÉVALUATION DE L’ALÉA
La méthode d’évaluation de l’aléa mouvements de terrain lié à la dissolution du gypse tient compte de l’ensemble des spécificités liées aux environnements solubles et à leur évolution.
Les grands principes de la méthodologie d’évaluation de l’aléa mouvements de terrain lié à la dissolution du gypse s’appuient sur l’acquisition d’un certain nombre de données qui caractérisent les contextes géologique, hydrogéologique et géomécanique d’un site. Ces données permettent d’évaluer, dans un premier temps, les secteurs pour lesquels des mécanismes de dissolution sont possibles et/ou les secteurs où des vides sont susceptibles de remonter en surface. Le croisement de ces informations permet de définir la prédisposition à l’apparition d’un effondrement ou d’un affaissement.
C’est cette prédisposition, croisée à l’intensité du phénomène redouté, qui va définir l’aléa attendu en surface. La figure 4 présente schématiquement la démarche d’évaluation de l’aléa mouvements de terrain lié à la dissolution du gypse. Elle identifie, par catégorie, les données nécessaires à l’échelle de l’étude ainsi que les croisements qui permettent de définir successivement la prédisposition, l’intensité et l’aléa. Il est important de noter que l’évaluation de l’aléa mouvements de terrain lié à la dissolution du gypse est basée principalement sur des contextes géologique et hydrogéologique donnés.
Elle ne tient pas compte d’éventuelles modifications des équilibres hydrodynamiques ou chimiques existant au sein des aquifères (infiltrations, pompages, événements pluviométriques extrêmes…) qui seraient de nature à accélérer la vitesse de dissolution ou à déstabiliser des zones antérieurement fragilisées.
PRÉDISPOSITION
La méthodologie d’évaluation de l’aléa mouvements de terrain lié à la dissolution du gypse doit être adaptée à chaque site en fonction des contextes et surtout des données disponibles. Néanmoins, même si les données varient d’un site à un autre, il est possible de définir deux critères principaux pour qualifier en premier lieu la prédisposition, à savoir : le « gisement » (présence ou non de gypse en quantité suffisante et à une profondeur susceptible d’occasionner des mouvements de terrain perceptibles en surface) ; le « potentiel hydrodynamique et hydrochimique des eaux » (présence ou non de circulations d’eaux agressives vis-à-vis du gypse).
L’utilisation et/ou l’acquisition de données hydrogéologiques est un élément primordial dans l’évaluation de la prédisposition. Ces données permettent de comprendre le fonctionnement du système de dissolution et les paramètres qui l’influencent : nature et faciès du matériau soluble considéré, chimie et température du fluide, vitesse de circulation des eaux à la surface du minéral, contexte hydrogéologique particulier, etc.
Pour quantifier l’évolution dans l’espace de la dissolution et évaluer l’extension globale du système de dissolution, il est nécessaire de disposer ou d’acquérir des données sur la chimie des eaux présentes. La réalisation de mesures in situ de la conductivité électrique de l’eau, couplées à des analyses chimiques, permet d’évaluer si les différents flux d’eau dans le sous-sol ont déjà été en contact avec du gypse. Le calcul des indices de saturation sera également utilisé afin de caractériser le potentiel de dissolution des différents flux d’eau vis-à-vis du gypse.
En complément ou à défaut de disposer de données hydrochimiques, il est possible de prendre en compte d’autres critères qui ont une influence indirecte sur le processus de dissolution. Ainsi, le gradient hydraulique de la nappe qui est représentatif de la vitesse de circulation de l’eau souterraine peut être utilisé. Cette vitesse de circulation a une influence directe sur le taux de renouvellement du fluide au contact du gypse, ce qui a ensuite une incidence sur le degré de saturation de la solution, et donc sur son potentiel de dissolution et de création de vide.
Une analyse fine du contexte hydrogéologique peut également permettre d’identifier les zones
sensibles du point de vue de la dissolution en localisant les secteurs où du gypse peut-être en contact avec de l’eau sous-saturée.
Afin de tenir compte de l’état du sol et du sous-sol, deux critères, dits correctifs ou aggravants, ont été retenus, l’un relatif aux « désordres », c’est-à-dire la connaissance de mouvements de terrain récents ou anciens associés à la dissolution, l’autre relatif aux « vides » présents dans le sous-sol (vides francs ou zones décomprimées). Ces critères, lorsqu’ils sont renseignés, permettent de moduler la prédisposition initialement qualifiée à partir des critères principaux.
In fine, la prédisposition des différents secteurs d’un site étudié est définie selon 3 niveaux : peu sensible, sensible et très sensible.
INTENSITÉ
L’évaluation de l’intensité passe en premier lieu par une caractérisation géométrique des désordres en surface. Pour un affaissement, c’est la mise en pente engendrée en surface par le réarrangement continu des terrains surincombants qui est utilisée. Pour les effondrements localisés, c’est principalement le diamètre du fontis en surface qui est pris en compte.
Les classes d’intensité retenues ici (tableau 1) sont celles définies dans le guide PPRN cavités souterraines abandonnées (MEDDE, 2012). Les deux classes extrêmes (très limitée et très élevée) ont néanmoins été supprimées afin de simplifier l’approche d’évaluation de l’aléa en considérant que, dans un contexte naturel, les informations disponibles peuvent être limitées. Dans ce cas, il peut être difficile de discriminer les valeurs extrêmes des intensités.
GRILLE D’ALÉA
Pour la prise en compte de l’aléa mouvements de terrain lié à la dissolution du gypse, une grille de
croisement classique, habituellement utilisée en risques miniers ou en risques naturels, a été retenue
(tableau 2). La méthodologie d’évaluation de l’aléa mouvements de terrain lié à la dissolution naturelle du gypse est basée sur la connaissance des contextes géologique et hydrogéologique du milieu, sur l’état du sol et du sous-sol mais aussi sur la compréhension des mécanismes mis en jeu depuis le phénomène de dissolution jusqu’à l’apparition de désordres en surface.
L’intensité des phénomènes redoutés est déterminée en fonction de la dimension des désordres attendus. La probabilité d’occurrence de l’aléa, ou plutôt ici la prédisposition du site vis-à-vis de l’apparition d’un désordre en surface, dépend principalement de deux critères, à savoir le « gisement » et les « potentiels hydrodynamique et hydrochimique des eaux ».
Ces critères sont évalués par une analyse fine des contextes géologiques et hydrogéologiques. Le croisement de ces deux paramètres permet d’obtenir le niveau de prédisposition, corrigé par les critères Présence de vides dans le sous-sol et connaissance de mouvements de terrain associés à la dissolution. Le croisement de l’intensité et de cette prédisposition permet d’évaluer l’aléa selon trois classes (faible, modéré et fort).
Amélie Lecomte, responsable études et recherches – Unité risques géotechniques liés à l’exploitation du sous-sol – Direction des risques du sol et sous-sol.
GÉOTECHNIQUE FORAGE FONDATIONS FORAGE D'EAU ESSAIS
M² EXPOSITION INTÉRIEURE
6000
EXPOSANTS
190
M² EXPOSITION EXTÉRIEURE
1 500
PARTICIPANTS
3000