Le projet Ariane 6 vise à développer un nouveau système de lancement dont l’objectif principal est de fournir à l’Europe un accès indépendant à l’espace à bas coût. Le programme Ariane 6 a été engagé suite aux conclusions du Conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne du 2 décembre 2014. La maîtrise d’oeuvre du développement du segment sol est assurée par le Centre national d’études spatiales (CNES), basé à Toulouse. C’est le groupement d’entreprises Eclair 6, dont Eiffage Génie Civil est le mandataire, qui est en charge de la construction des infrastructures du nouvel ensemble de lancement (ELA 4).
C’est dans ce contexte atypique et exigeant que Terrasol s’est vu confier la mission d’études géotechniques d’exécution par Eiffage Génie Civil pour l’ensemble des ouvrages constitutifs du nouvel ensemble de lancement. L’entreprise a, en effet, fait le choix délibéré de confier la mission
complète à un seul et même bureau d’études géotechnique : même si les ouvrages, et par conséquent les fondations, sont de toute nature, la connaissance globale du site qui s’étend sur plusieurs hectares, ainsi que les retours d’expérience des premiers ouvrages au démarrage des travaux, aident à la bonne compréhension du comportement des sols en place. Il est alors possible de concevoir des fondations optimisées, dans un souci de limitation des coûts.
CONTEXTE GÉOLOGIQUE ET PROBLÉMATIQUES GÉOTECHNIQUES
Le centre spatial est situé dans la plaine côtière ancienne de la Guyane, et le site d’ELA 4 dans une zone de savane. Le nouvel ensemble de lancement s’inscrit dans un rectangle de 820 m de longueur sur 480 m de largeur, soit sur une superficie d’un peu moins de 40 ha. La plaine côtière ancienne est constituée de dépôts marins de la série de Coswine (sables et argiles bariolées), de dépôts sableux et de dépôts limoneux en variation latérale de faciès, témoignage des variations du niveau de la mer au quaternaire. Ces dépôts récents reposent sur des altérations granitiques, rencontrées sous la forme de décomposition rocheuse multicolore et souvent micacée, surmontant le socle ancien formé de roches plutoniques ou métamorphiques grenues. Une zone d’altération plus grossière à la surface du socle rocheux est également présente sur une dizaine de centimètres. Elle est le siège de circulations hydrauliques souterraines. Malgré une distribution spatiale subhorizontale du toit de l’altération, le socle ancien rocheux présente de brutales variations d’altimétrie à l’échelle du site.
Cette forte hétérogénéité est à l’origine d’un des principaux aléas géotechniques du projet. En effet, les longueurs des pieux prévus sous différents ouvrages (bâtiment d’assemblage lanceur, château d’eau, portique mobile, etc.) ont été adaptées en fonction des conditions rencontrées en cours de réalisation.
Concernant les fondations superficielles, ce sont les formations
récentes superficielles non consolidées qui ont fait l’objet de toutes les attentions, en plus des variations latérales de faciès.
Par ailleurs, bien que le site ne soit pas localisé en zone d’aléa sismique, la poussée du lanceur au décollage oblige une vérification des fondations concernées sous sollicitations dynamiques.
RECONNAISSANCES GÉOTECHNIQUES
Les sols en place étant fins jusqu’au toit du socle rocheux, et la nappe évoluant vers 2 à 3 m de profondeur en saison sèche, c’est le pénétromètre statique avec piézocône qui a été privilégié pour les reconnaissances en phase exécution. Ces reconnaissances se sont avérées très bien adaptées aux terrains rencontrés. Elles ont permis une détermination précise des caractéristiques géomécaniques ainsi qu’une classification toute aussi précise des sols en place.
De plus, les résistances de pointe mesurées ont été mises en parallèle des résultats d’essais pressiométriques et des résistances de pointe obtenues au pénétromètre dynamique, avant tous travaux. L’homogénéité géomécanique des différentes formations rencontrées a permis de les classer en 4 grandes familles. Par chance, au droit d’ELA 4 les argiles étaient peu présentes et rencontrées essentiellement sous forme de poches d’extension latérale limitée comprises entre 2 et 6 m de profondeur. Les 4 grandes familles identifiées ont été nommées formations limono-sableuses de recouvrement et distinguées par leur compacité croissante.
La frange superficielle de compacité très faible (pl*,moy ≈ 0,25 MPa et qc,moy ≈ 0,5 MPa), nommée FLS-0, correspond aux formations de surface composées essentiellement de sables éoliens grisâtres à noirâtres et de dépôts limono-sableux. Les formations de la série de Coswine dans leurs faciès limono-sableux ou argilo-sableux font partie de la formation identifiée FLS-1. Leur compacité est meilleure que les formations superficielles identifiées FLS-0. Leur résistance de pointe moyenne est de 1,5 MPa, et la borne basse ne descend pas en dessous de 0,8 MPa certaines passes peuvent dépasser les 5 MPa (pl*,moy ≈ 0,8 MPa et 0,8 ≤ pl* ≤ 2,3 MPa à 5 MPa).
L’amélioration des caractéristiques en profondeur au sein des formations issues de l’altération de la
roche mère sous-jacente (arènes granitiques/altérations granitiques) nommées FLS-2 se traduit par des résistances de pointe toujours supérieures à 2 MPa (1,2 ≤ pl* ≤ 2,0 MPa). Cependant, on n’observe pas d’amélioration linéaire avec la profondeur, et les passes indurées n’excèdent pas les 4 MPa dans cette formation homogène. Enfin, le dernier niveau de sable grossier et blocs de granite, surmontant le granite altéré friable, est identifié FLS-3. Dans ce niveau, les résistances de pointe ne sont pas inférieures à 5 MPa et peuvent atteindre localement les 10 MPa (pl* > 2,0 MPa).
La diversité des reconnaissances disponibles nous a permis de croiser les analyses pour la détermination des modules de déformations des sols, et, par conséquent, pour l’estimation des tassements attendus. La disponibilité de plusieurs sources d’information, et ce, même si les essais pressiométriques ont été réalisés avant travaux (alors que la campagne de reconnaissance de niveau G3 s’est déroulée suite aux travaux de pré-terrassement), nous a ainsi permis de valider les solutions
techniques envisagées.
UN PLANNING TRÈS SERRÉ
Les conditions de lancement du projet ont été éprouvantes.
En effet, sur les 21 ouvrages principaux à construire, seulement 9 avaient fait l’objet d’études géotechniques préliminaires de niveau G2-PRO, 6 autres de niveau G2-AVP et les 6 derniers ouvrages n’avaient été étudiés qu’au stade G0 ou G1-PGC. Or les études géotechniques
d’exécution ont démarré en même temps que les reconnaissances de sols de niveau G3 et les
travaux. Le planning des travaux avait en effet été établi pour que la fouille principale soit achevée
avant la saison des pluies, et ne pouvait pas être décalé.
Compte tenu de ce planning très serré, les équipes ont été contraintes à une très grande réactivité et à beaucoup d’adaptabilité. Les caractéristiques des sols utilisées pour le dimensionnement des ouvrages et les grandes hypothèses du comportement du site (telles que les temps de consolidation
des sols meubles ou l’état du massif rocheux) ont donc été établies avant de pouvoir les valider
avec les reconnaissances complémentaires, en respectant au mieux le nécessaire équilibre entre
la sécurité des ouvrages et leur optimisation. Dans ce contexte, le recours à des reconnaissances de
qualité immédiatement interprétables était un choix judicieux.
ET DES CONTRAINTES LOGISTIQUES SPÉCIFIQUES
Parmi les contraintes imposées par le projet, il faut citer celle de l’approvisionnement du chantier
dans ce département français éloigné qu’est la Guyane. En effet, très peu de matériels sont disponibles sur place, et chaque solution a dû être pensée en fonction de cette contrainte logistique qui a constitué un défi supplémentaire pendant toute la durée des travaux.
TERRASSEMENTS
Le risque d’inondations est un aléa fort pour le site. Les plateformes réceptrices des ouvrages ont par
conséquent été surélevées par rapport au terrain naturel. Elles ont été créées en remblai, en mixant
les sols superficiels en place. À l’exception des argiles, les sols ont été soigneusement triés et séchés,
puis mixés à du liant routier ou du ciment. Ces remblais constituent de très bonnes plateformes, classées PF3 selon le GTR. Ils ont par conséquent aidé à fonder les bâtiments en superficiel, en intégrant les fondations au sein même des remblais ainsi constitués. La mise en oeuvre de ces plateformes a nécessité beaucoup de mouvements de terrain, mais c’est la réalisation de la fouille pour ériger le massif et les carneaux sous le pas de tir des futurs lanceurs qui a nécessité le plus d’attention et de volume (185 à 200 000 m3 au total). Cette fouille délimitée par une paroi au coulis, dont la superficie est de 21 541 m², a été descendue à 28 m de profondeur par rapport au terrain naturel. La fouille est mixte, c’est-à-dire qu’elle débute dans les sols meubles et multicolores pour finir dans le socle rocheux, moins bigarré d’apparence. Les terrassements dans les sols meubles respectent des pentes au 2H/1V et des risbermes de 3 m de largeur en crête ont été prévues tous les 9 m de profondeur. Toujours en raison des variations brutales du socle rocheux, un grand nombre de précautions ont été prises en amont, puis au moment où les terrassements ont atteint la jonction présumée entre les sols meubles et les sols rocheux, pour éviter toute instabilité de pied de talus qui aurait pu être provoquée par un approfondissement local non reconnu du socle rocheux. En effet, compte tenu de la présence de la nappe à faible profondeur, la fouille a été protégée des arrivées
d’eau par la paroi au coulis prolongée par une jupe injectée. Cette paroi de protection contre
les arrivées d’eau empêchait toute reprise de talutage en cas de problème d’instabilité, d’où l’importance des précautions évoquées ci-dessus.
Finalement, le socle rocheux a été atteint à 19 m de profondeur au sud de la fouille et entre 5 et 13 m
de profondeur au nord. Peu de variations brutales du toit du rocher ont été rencontrées. Le fond de
fouille rocheux respecte des pentes au 2H/5V et a dû être excavé par minage. L’ensemble des terrassements a été réalisé en 5 mois, durant la saison sèche, et s’est achevé comme prévu avant la saison des pluies. Des bâches en polyéthylène ont alors été déroulées sur les pentes des sols meubles, afin de les protéger des fortes pluies habituelles en Guyane.
Lors de l’ouverture de la fouille dans sa partie rocheuse, le massif s’est avéré très fracturé, sans remplissage dans les joints et avec des pendages aléatoires : le fond de fouille a donc dû être mis en
sécurité par clouage. Des fondations superficielles au rocher ont ensuite été envisagées sur les flancs nord de la fouille. À nouveau, des travaux de confortement par clouage et de comblement par du
gros béton ont été entrepris.
À ce jour, les travaux de gros oeuvres sont achevés, et la fouille a été comblée par des matériaux
de remblai.
FONDATIONS
Un projet de cette envergure nécessite la réalisation de nombreux types de fondations, superficielles
et profondes. En revanche, aucun renforcement des sols n’a été nécessaire. Un tel projet est
aussi l’occasion de mettre en oeuvre des fondations de formes inédites et tout à fait particulières,
comme ce fut le cas notamment pour le mât radio. Les liaisons entre les différents ouvrages à vocation industrielle sont assurées par des galeries enterrées et des canalisations de plusieurs mètres de diamètre. En conséquence, tous les ouvrages posés sur le sol - par l’intermédiaire des différents modes de fondation – vont devoir« fonctionner ensemble », et ce, malgré les tassements différentiels auxquels ils seront immanquablement soumis. Ces tassements différentiels, dus aux variations des chargements appliqués ainsi qu’aux variations de la stratigraphie, sont à estimer au mieux pour vérifier qu’ils seront compatibles avec les conditions d’utilisation des différents ouvrages.
C’est bien cette problématique d’évaluation des tassements qui est restée l’enjeu majeur des études d’exécution des fondations, y compris pour les fondations profondes (pieux forés au rocher, pieux vissés-moulés, et micropieux). En effet, contrairement à ce qui a été vu dans la zone de la fouille du massif et des carneaux, les zones concernées par les fondations profondes présentaient des variations brutales du toit du rocher, avec, par conséquent, des longueurs de pieux très variables également, et ce, sur des distances de quelques mètres seulement. Ces variations de longueur ont un impact direct sur les raideurs équivalentes transmises à la structure.
Il est également intéressant de remarquer que la solution de pieux forés au rocher n’a été employée que très ponctuellement. Le socle granitique oppose très vite une grande résistance aux machines de forage, et les variations brutales du toit du rocher entraînaient des risques de non-respect de la verticalité des pieux forés. Les pieux vissés-moulés ont également dû être adaptés aux variations du toit du rocher.
Finalement, ce sont les fondations superficielles mises en oeuvre sur les plateformes traitées qui se sont avérées les plus adaptées au site, avec notamment des radiers étendus et nervurés parmi le panel des solutions techniques utilisées pour ce projet.
À ce jour, notre mission est quasiment terminée, après plus de 2 ans d’études et plusieurs missions sur site.
Le contexte de ce projet hors norme était particulièrement exigeant, à la fois techniquement, d’un point de vue organisationnel, et en termes de délais. C’est grâce aux échanges permanents entre les différents acteurs du projet, et notamment avec les équipes du groupement d’entreprises, que les différentes problématiques géotechniques ont pu être traitées de manière constructive, et que les solutions techniques apportées ont pu être optimisées en cours d’exécution. L’équipe de Terrasol est fière d’avoir participé à ce projet exceptionnel !
Cécile Babin, ingénieure principale chez Terrasol
Fabien Binet, géologue référent chez Terrasol
Manuel Hocdé, chef de projet chez Terrasol
GÉOTECHNIQUE FORAGE FONDATIONS FORAGE D'EAU ESSAIS
M² EXPOSITION INTÉRIEURE
6000
EXPOSANTS
190
M² EXPOSITION EXTÉRIEURE
1 500
PARTICIPANTS
3000