Maria Elena Parisi, responsable du département Géologie à la direction de l'Ingénierie de TELT SAS, maître d’ouvrage, répond aux questions de “Solscope Mag”.
Pouvez-vous présenter, dans le sens Lyon Turin, les formations géologiques traversées par le tracé du tunnel jusqu’à la frontière italienne ?
Maria Elena Parisi : Le tunnel de base se situe dans un cadre géologique très complexe. Cette complexité est due non seulement aux aspects structuraux, mais aussi à la variété lithologique rencontrée. En effet, le tunnel se situe entre les Alpes externes (côté France), à l’ouest, et les Alpes internes (côté Italie), à l’est, séparées par le front pennique. Se succèdent ainsi d’ouest en est sur le tracé : le portail de Saint-Jean-de-Maurienne (point kilométrique environ 3+920) qui sera réalisé dans les dépôts meubles du cône de déjection de Saint-Julien-Mont Denis ; le tunnel sera creusé ensuite dans les lithotypes flyschoïdes de la zone ultra-dauphinoise (environ pk 4+445 - 7+440) ; le tracé prévoit aussi la traversée de la zone sub-briançonnaise jusqu’au pk 10+060 environ. La limite orientale du secteur sub-briançonnais est marquée par le front de houiller, dont le comportement, que ce soit sur le court ou le long terme, est un sujet géotechnique d’approche complexe ; après le franchissement du front de houiller, le tunnel traversera les unités schisto-gréseuses du houiller briançonnais sur une longue section jusqu’à environ pk 23+100n ; Il va suivre la zone briançonnaise de Vanoise jusqu’au pk 33+350 environ. Sur quelque 10 km, il inclura les secteurs Etache-Sapey/Orgère à l'ouest et Modane-Avrieux à l'est. Cette section est formée par les roches du socle de Vanoise ainsi que par un ensemble de quartzites plus ou moins phylliteux et/ou conglomératiques de couverture ; puis, le tunnel retrouve la série carbonatée de l’Esseillon (pk 33+350 -34+070 environ), constituée par des calcaires et des dolomies ; Il va suivre la nappe des schistes lustrés, et une zone des gypses entre les points kilométriques 34+070 et 39+450 environ. Cette zone est constituée par un mélange tectonique d’anhydrites et de roches carbonatées, issu de la couverture briançonnaise et/ou piémontaise ; toujours en direction de l’Italie, on retrouve alors le mont d’Ambin, jusqu’au pk 55+000 environ, constitué par un socle de méta-sédiments poly-métamorphiques (complexe de Clarea) et par une série méta-sédimentaire paléozoïque (complexe d’Ambin), avec ses couvertures calco-dolomitiques. Les couvertures sur la voûte des futures galeries sont importantes (jusqu’à 2000m), engageant des dispositions renforcées de ventilation/climatisation durant la réalisation du creusement ; après cela, le tracé traverse sur près de 1 500 m une zone à écailles tectoniques qui représente une zone de décollement tectonique d’épaisseur pluri-hectométrique à l’interface entre le complexe d’Ambin et la zone piémontaise. Les lithotypes caractéristiques de la zone écaillée sont des calcschistes phylliteux, avec des intercalations de gneiss albitiques ou albitique-chloritiques ainsi que des brèches tectoniques carbonatées ou « cargneules ».
Quelles sont les couches «atypiques » susceptibles d’être rencontrées ?
GÉOLOGIE ET DISPOSITIONS CONSTRUCTIVES
La succession d’horizons géologiques distincts influe-t-elle sur le tracé, la conception et la construction du tunnel ?
La première étape du « dessin » doit garantir que les fonctionnalités de la nouvelle infrastructure répondent bien à celles de l’ouvrage ferroviaire. Après cela, la géologie a bien sûr une influence importante dans la définition du tracé, dans la conception et finalement dans sa réalisation, et ce pratiquement à toutes les phases du projet.
Les reconnaissances initiales qui viennent compléter les études faites en surface (étude de terrains de type géologique, structural et hydrogéologique) vont indiquer la meilleure option de tracé. n phase de conception, la géologie au sens large va définir le choix de la méthode de construction, les types de soutènement à prévoir, la modalité d’utilisation du matériau creusé. Durant la phase de réalisation, les reconnaissances à l’avancement et les études géotechniques complémentaires marquent normalement le temps de l’infirmation ou de la confirmation des modèles et des schémas retenus pour chaque secteur spécifique.
Comment peut-ont concilier incertitudes géologiques et réalisation de projets souterrains ?
L'incertitude géologique des projets souterrains conduit le plus souvent à des différences entre les conditions géologiques et géotechniques prévues et celles réellement rencontrées. La gestion de cette incertitude est un défi majeur. Elle soulève souvent des réclamations et des problèmes contractuels complexes, qui sont principalement liés au programme des travaux. Il était donc essentiel d’appliquer des systèmes de marchés modernes et flexibles.
Les marchés de TELT attribués récemment appliquent le principe du «délai déterminant », déjà employé notamment sur le tunnel suisse du Saint-Gothard. Quel est l’intérêt de cette méthode ?
Cette méthode permet d’adapter le délai initial correspondant à la maquette géologique du « Document de consultation entreprise » aux conditions géomécaniques effectivement rencontrées. Elle rend possible la construction de l’ouvrage même en cas de variations importantes du modèle géologique que ce soit pour une variation de répartition des conditions géomécaniques reconnues dans la maquette géo non contractualisée ; ou pour les risques reconnus par l’analyse des risques ainsi que pour les risques non reconnus en raison d’une reconnaissance partielle de l’ouvrage. Concrètement, ce mode de fonctionnement permet d’ajuster les délais contractuels aux conditions effectivement rencontrées et aux soutènements effectivement mis en œuvre ; et ce sur la base de cadences d’avancement contractuelles. L'un des aspects clés de la contractualisation de l'incertitude géologique a été l'élaboration d'un système permettant de prendre en compte la durée réelle de réalisation des travaux dans le mode de rémunération. En résumé, la méthode incitative du « délai déterminant » se traduit par une contractualisation des risques entre le maître d’ouvrage et les groupements d’entreprises attributaires des lots pendant les phases d'appel d'offres et d'exécution.
Le principe du «délai déterminant » a-t-il été généralisé sur le Lyon-Turin ?
Notre méthode s’inspire des modes de contractualisation déjà utilisés pour les tunnels du Saint-Gothard, mais aussi du Lötschberg. Notre société l’a aussi employée dans le passé pour le creusement dit « SMP4 », au niveau de la descenderie de Saint- Martin-la-Porte . Son application est prévue dans tous les lots.
INVESTIGATIONS GÉOLOGIQUES ET GÉOTECHNIQUES
Quelles ont été les grandes phases d’investigation ?
On peut distinguer 3 grandes périodes d’investigations par forage.
1991-2001 – Phase de faisabilité
44,35 km de forages pour 57,5 km du tracé, ce qui correspond à un taux de couverture de 77 %. C’est-à-dire qu’à chaque kilomètre de tracé on a 0,77km de forages ; y compris le forage dirigé de Avrieux (1999) de 1 822 m de longueur et le forage dirigé de Etache (1999-2000), de 2 950 m de longueur.
2002-2017 – Phase de conception
20,4 km de forages pour 57,5 km du tracé, il correspond aux 35,5 % qui viennent en complément des 77 % de la première phase. Donc le 112 % de toute la longueur du tracé. Pour 1 km de tracé, on a 1,12 km de forages.
2002-2022 – Phase mixte conception/ construction
69,40 km de forages pour 57,5 km de longueur de tracé en souterrain du tracé, il correspond aux 120 % qui vont s’ajouter au 77 % de couverture de la première phase. Donc presque deux fois plus que la longueur totale du tracé. Cela signifie que pour chaque kilomètre de tracé ; il y a deux kilomètres de forages réalisés. À cela va s’ajouter la grande famille de reconnaissance de type géophysique. Elle représente environ 260 km entre celle réalisée en surface et celle réalisée en forage.
Enfin, la réalisation des ouvrages préliminaires, attaques intermédiaires et galeries de secours, ainsi que des galeries de reconnaissances (SaintMartin-la-Porte, La Praz, Modane, La Maddalena), ajoutent environ 30 km supplémentaires.
Qu’est-il prévu pour la reconnaissance des massifs rocheux restant à creuser ?
Nous procéderons principalement à des forages destructifs. Au fur et mesure du creusements, pourront être pratiqués des carottages ainsi que des mesures indirectes de reconnaissances géophysiques et des mesures de température. Le suivi des paramètres des tunneliers doit aussi apporter beaucoup d’informations sur les formations rocheuses. Les travaux déjà accomplis participent de ces éléments « formatifs ». Par exemple, côté France, les ouvrages du chantier SMP4 ont permis d’affiner les connaissances des lithologies, des caractéristiques hydrogéologiques du massif, des structures… et de mettre à jour la fiabilité du modèle géologique pour la réalisation du tube nord. Par ailleurs, côté italien, cette fois, le percement de la galerie d’entrée a amélioré la connaissance du modèle géologique, notamment en ce qui concerne les conditions géomécaniques, le comportement du massif au creusement et les caractéristiques hydrogéologiques. Si l’on confronte le modèle géologique et les terrains franchis là, on constate que le modèle géologique révisé bénéficie d’un degré élevé de fiabilité. On peut d’ailleurs indiquer que le niveau de connaissance des massifs est très comparable à celui acquis pour les tunnels du Brenner du Saint-Gothard et du Lötschberg, trois projets de tunnels transalpins couronnés de succès.
Propos recueillis par Philippe Morelli
GÉOTECHNIQUE FORAGE FONDATIONS FORAGE D'EAU ESSAIS
M² EXPOSITION INTÉRIEURE
6000
EXPOSANTS
190
M² EXPOSITION EXTÉRIEURE
1 500
PARTICIPANTS
3000