Le tunnel TS-26 est l’ouvrage phare du tronçon de l’autoroute S3 entre Legnica, Pologne et la République tchèque.
Il comporte deux galeries indépendantes de 2,2 kilomètres de longueur avec une largeur nominale de 15 mètres,
une hauteur maximale de 11 mètres et une couverture variant de 8 à 60 mètres. Il s’agit du tunnel non urbain le plus long
de Pologne. Le tunnel a été réalisé par la méthode NATM (New Austrian Tunneling Method).
Pendant les travaux, des difficultés d’exécution sont apparues, liées à une géologie moins favorable que celle anticipée lors de la phase conception. Les conditions rencontrées ont nécessité une adaptation du dimensionnement de l’ouvrage, puis des soutènements mis en place au fur et à mesure de l’avancement des travaux, conduisant à des délais importants et des coûts plus élevés pour le projet.
Géotec a été sollicité, à la demande du maître d’ouvrage, la direction générale des routes nationales et autoroutes polonaises, pour intervenir en qualité d’expert indépendant pour valider la stabilité globale de l’ouvrage et l’adéquation des soutènements au regard du contexte géologique réel à l’aide de rétro-analyses. À partir des données initiales et les éléments de conception,
mais aussi des résultats d’auscultation et des levés géologiques du front de taille, Géotec a procédé à des modélisations numériques pour les zones clés. Pour évaluer la faisabilité des projets
de tunnel et réaliser une conception appropriée, il est fondamental de disposer d’une bonne connaissance des terrains dans lesquels l’ouvrage sera construit. Une mauvaise prédiction des
conditions in situ pourra conduire à un choix de solutions inadaptées qui sera préjudiciable à la viabilité technique et économique du projet. Les paramètres considérés doivent être représentatifs et compatibles avec les méthodes de construction envisagées qui ne sont généralement pas suffisamment établies au stade de l’appel d’offres.
Le recours à des rétro-analyses en phase construction pour les projets de tunnel est un outil efficace à forte valeur ajoutée pour garantir l’intégrité et la pérennité de l’ouvrage. Une partie fondamentale du processus est la réévaluation des paramètres géotechniques. Pour des masses rocheuses hétérogènes, la détermination des paramètres pertinents et fiables nécessite une approche
globale, tenant compte à la fois des résultats d’investigations, des observations faites pendant l’excavation et des mesures d’auscultation.
Des modélisations numériques sont fortement dépendantes des paramètres considérés, qui fréquemment ne sont pas correctement évalués par les reconnaissances.
Les modèles géotechniques du tunnel ont été établis sur la base de 53 sondages, comprenant des carottages, des essais in situ (dilatomètre et essais d’eau), des essais géophysiques, un suivi piézométrique et des essais de laboratoire sur les échantillons intacts de roche. Au vu de la longueur des galeries et de la complexité du site, le programme de reconnaissance s’avère insuffisant.
Le tunnel TS-26 traverse deux formations géologiques principales : les schistes métamorphiques de l’Ordovicien dans sa partie nord et les conglomérats sédimentaires carbonifères dans la partie Sud. Ces formations sont fortement fracturées avec la présence de trois failles sur le tracé du projet. Cet article présente uniquement la rétro-analyse de la partie du tunnel située dans les schistes (voir figure 1). D’après les éléments communiqués dans le cadre de notre mission, il n’y a pas de nappe permanente au-dessus de la base des galeries. Cependant, les écoulements pourront se produire au
sein des horizons plus perméables, correspondant aux passages très fracturés ou dans les zones de faille. Ces venues d’eau ont été collectées en phase travaux par la mise en oeuvre de dispositifs
de drainage.
Trois catégories de roche ont été établies pour chaque formation géologique, en fonction de leur nature et leur résistance mécanique. La formation de schiste est constituée des catégories 01 à 03. La
rétro-analyse du tronçon nord a été réalisée pour la catégorie 03, constituée principalement du schiste graphiteux, qui représente le cas le plus défavorable.
Ce type de roche est caractérisé par une faible à très faible résistance à la compression. Lors de l’excavation des galeries, les schistes graphiteux ont été rencontrés sur un linéaire de 550 m, ce qui est nettement supérieur aux prévisions initiales.
La loi de comportement utilisée est celle développée par Hoek-Brown pour un milieu rocheux fracturé. Ce modèle considère un critère de rupture élasto-parfaitement plastique isotrope, associé à une fonction non-linéaire de la résistance au cisaillement, qui dépend de l’état de la contrainte. Il intègre
des paramètres élastiques de la masse rocheuse (E and ν), ainsi que des paramètres complémentaires :
Les reconnaissances ne permettent pas la détermination directe de l’ensemble des paramètres requis par le critère de Hoek-Brown. Ces paramètres ne peuvent être établis qu’à partir d’une analyse géologique détaillée de la roche lors de son excavation.
Dans le cadre du projet, la résistance au cisaillement et le module de déformation de la masse rocheuse ont été évalués avec les bornes supérieures et inférieures des différents paramètres et pour un tunnel situé entre 40 et 60 m de profondeur.
Les données d’entrée et les paramètres calculés pour le schiste graphiteux sont récapitulés dans le tableau 1. Les modules de déformation réévalués sont cohérents avec les conditions réelles mais nettement inférieurs aux valeurs données dans le DCE.
Les caractéristiques issues dans le cadre de la rétro-analyse sont présentées dans le tableau 2. Elles correspondent à la borne inférieure pour l’angle de frottement, la borne supérieure pour la cohésion
et une valeur intermédiaire pour le module de déformation.
Avec les paramètres du DCE, il était envisagé d’excaver les tunnels pleine section, sans contre-voûte, avec un soutènement léger et une longueur de passes importante. Les études avec les
caractéristiques des roches basées sur les résultats des investigations complémentaires ont montré le besoin de terrasser les tunnels en plusieurs étapes, de réduire la longueur de passes et de
mettre en place des soutènements plus résistants.
Malgré les investigations menées, les conditions rencontrées pendant les travaux sont significativement moins favorables que celles prévues et ont nécessité une adaptation en permanence
du phasage d’excavation et du type de soutènement mis en oeuvre pour assurer la stabilité. La résistance faible de la roche et des venues d’eau ont imposé un renforcement important du soutènement afin de réduire les hors-profils et éviter l’effondrement de la voûte et l’instabilité du front de taille.
Les mesures complémentaires mises en place incluent :
Le soutènement considéré dans la rétro-analyse correspond à celui mis en place par le constructeur dans le secteur étudié (RT D40). Une coupe-type du support est présentée sur la figure 2.
Les tunnels ont été exécutés par 4 équipes, 2 pour les galeries nord et 2 pour les galeries sud. La construction de la galerie nord-ouest a commencé 5 semaines après le démarrage de la
galerie nord-est.
La rétro-analyse a comporté des modélisations en 2D, puis en 3D ; elle a pour objectifs :
Dans les modèles 2D, l’effet de voûte, qui se produit autour de l’excavation non soutenue, a été pris en compte par la méthode de convergence-confinement décrite dans les recommandations AFTES GT7R6F1. Ces modélisations mènent aux conclusions suivantes :
Le modèle 3D coïncide à une section qui s’étend longitudinalement 30 m de part et d’autre de la position du modèle 2D considéré. Afin de limiter les effets de bord sur les résultats pour la première étape de calcul, la limite avant du modèle a été reculée d’une distance de 15 m. L’excavation et la mise en place du soutènement dans la zone d’extension ont été effectuées dans une seule phase de calcul. Les autres phases ont été menées en deux étapes : excavation, puis réalisation du soutènement. Le
modèle 3D pour la galerie nord-est est présenté sur la figure 4.
Les déplacements verticaux et les efforts internes dans le soutènement, calculés avec les paramètres réévalués, sont présentés sur la Figure 5. Il est souligné que les efforts maximums dans le support ne se produisent pas systématiquement lors de la passe de terrassement qui suit la pose du support.
Les déplacements de surface provoqués par le creusement du tunnel sont récapitulés dans le tableau 3. À titre de comparaison, les déplacements obtenus avec les caractéristiques issues du DCE sont également présentés.
Une comparaison des déplacements de surface calculés avec les paramètres réévalués avec les valeurs mesurées au centre du modèle étudié (PK 42+500) est présentée sur les figures 6 & 7. Les
déplacements calculés avec les paramètres réévalués sont en bon accord avec les résultats d’auscultation. En revanche, les déplacements calculés avec les paramètres issus du DCE sont environ 10 fois plus faibles que les valeurs mesurées. Une superposition des efforts internes générés dans le soutènement avec les enveloppes de rupture pour les différents types de support envisagés lors de la conception (RT B0) et du dimensionnement (RT B20), ainsi que celui réellement mis en
place (RT D40) est présentéwre 9. Il est clairement constaté que les types de support envisagés avant travaux sont largement insuffisants pour garantir la stabilité de l’ouvrage. En revanche, le support mis en place par le constructeur est en adéquation avec les conditions rencontrées pendant les travaux.
En conclusion, l’utilisation seule de la méthode observationnelle n’est pas suffisante pour des projets de tunnel situés dans un milieu rocheux hétérogène et fortement fracturé et devra être associée à la procédure de rétro-analyse. La méthode de rétro-analyse peut être appliquée pendant la phase de construction pour valider ou adapter les paramètres de dimensionnement et la technique de soutènement ou même après construction pour valider les travaux réalisés. La combinaison de la rétro-analyse avec la méthode observationnelle peut réduire voire éviter de lourdes réclamations par le constructeur du tunnel.
L’application de la procédure de rétro-analyse au tunnel TS-26 a démontré que le type de soutènement mis en place par l’entreprise est justifié au regard des conditions observées pendant les travaux. L’étude d’expertise menée par Géotec a permis de valider la stabilité et la pérennité de l’ouvrage, ce qui a conduit à la réception de l’ouvrage par le maître d’ouvrage.
Le tronçon de l’autoroute S3 qui comporte le tunnel TS-26 a été inauguré le 31/07/2024, en partie grâce à la rétro-analyse réalisée par Géotec.
Grant Knochenmus, ingénieur géotechnique Expert (Géotec)
Lianfeng Jing, ingénieure études Cellule Calculs (Géotec)
GÉOTECHNIQUE FORAGE FONDATIONS FORAGE D'EAU ESSAIS
M² EXPOSITION INTÉRIEURE
6000
EXPOSANTS
190
M² EXPOSITION EXTÉRIEURE
1 500
PARTICIPANTS
3000