La normalisation et l’innovation peuvent apparaître comme deux activités contradictoires au premier abord : la première
tend à contraindre tandis que la seconde tend à exempter. Cette contradiction n’est que superficielle et les deux activités,
notamment en géotechnique, se complètent et interagissent pour toujours mieux gérer les risques de chaque projet et les
aléas inhérents à la connaissance des sols et des roches.
Dans le domaine des fondations profondes, c’est ainsi que la norme NF P 94-262 met en avant l’innovation en permettant que des projets se réalisent selon les dispositions de « cahiers
des charges » :
« Des procédés de fondations profondes non décrits dans le présent document, soit en termes d’exécution, soit en termes de matériaux constitutifs, pourront être utilisés à condition qu’ils aient fait l’objet d’un cahier des charges particulier comprenant les spécifications d’exécution bien précises, ainsi que les valeurs adéquates des paramètres de résistance de pointe, de résistance de frottement et de résistance des matériaux. Ces valeurs devront être basées sur des justifications expérimentales.
Notamment, en ce qui concerne la portance et la résistance limite de traction, les valeurs des paramètres doivent être déduites d’un ensemble d’essais de chargement de pieux réalisés dans des contextes géotechniques comparables couvrant ceux prévalant pour le projet. » (§ 1 (9) NF P94-262 « Domaine d’application »).
Cette possibilité d’utiliser des cahiers des charges favorise l’innovation et permet à l’entreprise qui en est en à l’origine de réévaluer certaines limitations de la norme. Par exemple, il est possible d’accroître le taux de travail du béton ou de disposer de paramètres de calcul de la portance d’un pieu plus élevés que ceux de la norme. Les techniques de pieux à la tarière creuse ou de pieux vissés pour lesquelles les phases de forage et de bétonnage sont très spécifiques sont ainsi l’objet de nombreux cahiers des charges.
Néanmoins, l’innovation doit se plier aux mêmes usages que ceux qui prévalent pour développer les règles présentées dans la norme. En géotechnique, comme dans d’autres sciences de l’ingénieur, l’expérimentation et la référence à des expériences comparables sont les gages permettant de valider pleinement un procédé ou une méthode de calcul.
Une fois ces principes rappelés pour l’élaboration d’un cahier des charges, il est aussi important de présenter leur usage, leurs conditions d’utilisation et les risques éventuels qu’ils incluent en proposant des procédés différents de ceux couverts par la norme.
Il va de soi que les réflexions ici exposées se placent sur le seul plan technique, sans développer les implications juridiques ou d’assurance éventuelles.
QUELLES SONT LES CONDITIONS D’UTILISATION DES CAHIERS DES CHARGES ?
Il convient de noter qu’un cahier des charges tire sa valeur de l’entité qui le vérifie et le valide, généralement ponctuée par un avis qui se place sur le seul plan technique.
L'avis sur un cahier des charges est une procédure volontaire permettant à un fabricant ou une entreprise de faire reconnaître par un tiers indépendant que son produit ou procédé est conforme à la réglementation et permet de construire un ouvrage stable et pérenne.
L’avis technique permet à son bénéficiaire de s’appuyer sur une évaluation technique collégiale, objective et reconnue, alors même que ces produits ou procédés ne sont pas encore entrés dans le domaine traditionnel. On notera qu'un produit traditionnel peut être simplement mis en oeuvre de façon non traditionnelle
L’avis technique délivré par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) permet de développer le recours à des produits et procédés innovants dans le domaine du bâtiment ; l’avis technique CSTB puise sa légitimité dans le règlement intérieur de la Commission chargée de formuler les avis techniques, CCFAT, constituée par le Ministère. Pour une simple question de terminologie, le demandeur fournit un dossier technique au CSTB, et non un cahier des charges.
L’avis délivré par Cerema-UGE (dit « évaluation de procédé géotechnique », EPG) est limité aux procédés de réalisation des ouvrages géotechniques ; l’EPG est le reflet d’un consensus des différentes parties habituellement actives sur un projet (ingénieries géotechniques,
entreprises, bureaux de contrôle, etc.) sur l’avis technique
Un pendant européen à l’avis technique français existe : c’est l’évaluation technique européenne (ETE) ; cependant, il convient d’avoir une lecture experte de leur contenu pour une utilisation appropriée en France.
Il est possible d’utiliser des cahiers des charges d’autres sources (maîtres d’oeuvre en particulier) et/ou validés par d’autres sociétés ou organismes, mais au risque de réserves de la part de certains autres participants à l’acte de construire faute d’une validation officielle ou consensuelle ; il est aussi
recommandé de solliciter l’opinion des assureurs dans ce cas.
QUELLE DIFFÉRENCE ENTRE UN CAHIER DES CHARGES (SOUS EPG) ET UN AVIS TECHNIQUE (DU CSTB) ?
Dans les deux cas, une entreprise (rarement un fabricant pour des ouvrages géotechniques) soumet à un tiers indépendant la vérification et la validation de son projet d’innovation ; une fois la validation acquise (visible sur le site du CSTB pour les avis techniques et sur celui du Cerema pour les EPG), le produit ou procédé est usuellement applicable au même titre qu'une norme ou qu'une recommandation professionnelle. Dans le cas de l’avis technique, le CSTB évalue le projet au regard d’un référentiel
adapté à la famille de produits ou procédés concernée et soumet son projet d’avis technique à un « groupe spécialisé », réunissant des experts. Lorsque le référentiel n’existe pas, le CSTB en
crée un en concertation avec le groupe spécialisé.
Dans le cas de l’EPG (évaluation de projet géotechnique), est recherché le consensus de la « commission EPG » sur le projet de l’entreprise et le projet d’avis EPG. La composition et le fonctionnement de la commission EPG sont proches de ceux des commissions de normalisation géotechniques ; CN JOG et CN ETG y sont d’ailleurs représentées.
QUELS SONT LES RISQUES D’UN CAHIER DES CHARGES ?
Les cahiers des charges sont rarement proposés dans les missions G2 (de la norme NF P94-500) en phase PRO et/ ou dans les dossiers de consultation : c’est usuellement en phase d’analyse des offres et de mise au point des marchés de travaux (phase DCE/ACT de la mission G2) que leur pertinence est regardée.
Note : une exception existe néanmoins avec les ponts fondés sur des pieux réalisés à la tarière creuse puisque le fascicule 68 du CCTG impose que les ateliers soient munis d’un rockbit télescopique
et que ce procédé n’est reconnu que par des cahiers des charges (sous EPG).
Dès lors que le procédé sous cahier des charges ne modifie pas le type d’ouvrage géotechnique, cela n’ajoute pas de risque à ceux indiqués pour l’ouvrage décrit par la mission G2 : ils seront normalement
traités par la mission G3 sous supervision de la mission G4.
Il convient seulement d’être attentif aux incertitudes subsistant (limites normalement précisées par le rapport G2 en phase PRO) en regard du domaine d’application du procédé (et de l’avis qui le valide).
Note : les cahiers des charges repoussent les limitations de la norme entre autres parce que les procédés qui s’y réfèrent y sont mieux décrits avec un domaine d’application usuellement ciblé de
façon plus précise. Le revers est que l’effet d’une imprécision des données au stade G2 PRO (par exemple une identification trop sommaire de terrains, par défaut ou par excès) ou d’une incertitude
élevée (c’est souvent le cas en présence de blocs erratiques) puisse alors être amplifié.
Bien entendu, les procédés qui sont proposés dans le cadre de variantes, en particulier celles qui changent le type d’ouvrage (par exemple, passer d’une fondation profonde à un renforcement de sol) ou qui ont des implications sur la structure (par exemple, passer d’un massif sur plusieurs pieux à un pieu unique), ne peuvent s’exonérer d’une analyse de risques avantageusement menée conjointement par le maître d’oeuvre et l’ingénierie géotechnique en phase d’analyse des offres.
QUEL EST L’USAGE D’UN CAHIER DES CHARGES ?
Outre les motivations techniques données par la norme, le cahier des charges est conçu avant tout comme un référentiel dont les clauses pourront se substituer aux stipulations du CCTP d’origine,
soit parce que le CCTP reprendra textuellement ces clauses, soit parce qu’une annexe au CCTP signalera ce référentiel et cette substitution.
L’attention est attirée sur le fait que les cahiers des charges reposent sur des dispositions normales et que des exigences spécifiques (par exemple, une exigence sur le béton et/ou une demande de
contrôles originaux ou complémentaires) devront être préservées le cas échéant.
CONCLUSION
Les différents aspects traités pour la réalisation et l’utilisation d’un cahier des charges témoignent d’une organisation mise en place par la profession apte à faire cohabiter les activités de normalisation
et d’innovation. Un cahier des charges permet d’une part de mettre en avant l’innovation dont une entreprise est à l’origine et d’autre part de répondre en termes de gestion des risques aux mêmes exigences que les procédés décrits dans les normes. Les maîtres d’oeuvre, les bureaux d’études
géotechniques ou les bureaux de contrôle peuvent ainsi les inclure dans leur projet ou les accepter commevariantes sans prendre plus de risques que s’ils avaient préconisé des procédés décrits dans les normes.
Sébastien Burlon
Directeur d’études Setec-Terrasol
Président de la CN JOG
Jean-Paul Volcke
Expert judiciaire
Membre du GS 3.3 du CSTB
Expert inscrit au CEN et à l’Afnor
GÉOTECHNIQUE FORAGE FONDATIONS FORAGE D'EAU ESSAIS
M² EXPOSITION INTÉRIEURE
6000
EXPOSANTS
190
M² EXPOSITION EXTÉRIEURE
1 500
PARTICIPANTS
3000